Orateur(s)
Célia Joaquim-Justo PhD, Directrice du Laboratoire d'Écologie Animale et Écotoxicologie (Faculté des Sciences, ULiège)
Sébastien Baekelandt PhD, Unité de Recherche en Biologie Environnementale et Évolutive (URBE, UNamur)
Céline Gérard Head of Nonclinical Development (Mithra Pharmaceuticals)

Écotoxicologie et développement de produits pharmaceutiques plus respectueux de l’environnement

    Résumé

    Nous avons inscrit cette conférence sur l’écotoxicologie et l’impact des produits pharmaceutiques sur l’environnement dans le cadre de l’initiative One Health de l’ULiège.

    Célia Joaquim-Justo, Directrice du Laboratoire d'Écologie Animale et Écotoxicologie à l’ULiège, a démarré les exposés en posant brièvement le contexte réglementaire.

    Au fil des années, une multitude de nouvelles molécules (organiques et inorganiques) sont mises sur le marché (plus de 100 millions en 50 ans !). Il faut, par conséquent, gérer la présence de ces molécules dans l’environnement et pour évaluer le risque environnemental de ces substances, des outils sont nécessaires. Ainsi, des directives réglementaires ont été mises en place et évoluent dans le temps, avec des préoccupations d’impacts sur la santé humaine mais aussi sur l’environnement.

    La première loi sur l’autorisation de mise sur le marché des médicaments date de 1965 et vise la protection des utilisateurs. Ce n’est qu’en 2004 que l’obligation d’évaluer l’impact environnemental des médicaments apparaît, mais cette dernière n’induit pas un critère de refus, elle vise juste à limiter les effets. En 2023, une nouvelle directive et régulation adoptée adresse les problèmes de résistance antimicrobienne, de dérégulateurs endocriniens...

    Pour évaluer le risque environnemental et autoriser ou pas la mise sur le marché d’un produit, on compare les concentrations attendues ou mesurées dans l’environnement aux concentrations prévues sans effet (risk characterisation ratio -RCR- : PEC/ PNEC).

    Cette évaluation des risques RCR est faite pour tous les compartiments environnementaux : écosystèmes aquatiques et terrestres, top prédateurs, microorganismes dans les stations d’épuration et intègre aussi les écosystèmes marins.

    Célia Joaquim-Justo a ensuite expliqué concrètement comment on fixe la concentration en deçà de laquelle on n’aura pas de conséquence inacceptable sur l’environnement.

    Pour les médicaments, les recommandations pour l’évaluation du risque environnemental ont été adaptées et on préconise la multiplication des organismes aquatiques que l’on teste.

    Outre cette évaluation des risques, une autre manière de minimiser l’impact des effluents de l’industrie pharmaceutique est de mettre en place un système de taxation (incitants financiers), dont le calcul a été détaillé.

    Elle a ensuite fait un état des lieux des défis qu’il reste à relever quant à la gestion des risques liés aux médicaments :

    • l’effet des substances en mélanges (effet cocktail) difficile à évaluer ;
    • l’intégration des biomarqueurs dans le monitoring pour une détection très précoce des problèmes ;
    • les résistances aux antimicrobiens ;
    • les dérégulateurs endocriniens dont les causes sont multiples.

    Enfin, elle a présenté une étude visant à étudier l’impact de la pilule sur l’environnement. Cette dernière montre l’apparition, dans les lacs et rivières, de poissons mâles intersexes et la diminution du nombre d’œufs produits par les femelles.

    Céline Gérard, Head of Nonclinical Development chez Mithra Pharmaceuticals, a axé sa présentation sur l’Estérol (E4), un œstrogène naturel particulier avec lequel l’entreprise pharmaceutique, active dans les domaines de la contraception et de la ménopause, travaille. Elle a expliqué la distinction entre les œstrogènes naturels et synthétiques, ainsi que leurs caractéristiques respectives.

    Les oestrogènes, comme d’autres molécules, peuvent se retrouver dans l’environnement (via l’eau) après usage thérapeutique et excrétion sous forme de molécules de départ ou de métabolites. Ces molécules sont donc en contact direct avec les organismes aquatiques tels que les poissons ou les plantes.

    Les effets les plus signalés des œstrogènes sur l’environnement (observés à des concentrations aussi faibles que 1 ng/L) comprennent ; la perturbation du développement normal (y compris la féminisation des mâles), les impacts négatifs sur la reproduction (baisse de la fertilité) et la modification du comportement (cour et accouplement).

    L’E4 étant disponible sur le marché, Mitha Pharmaceuticals a donc dû procéder à une évaluation des risques environnementaux (ERA) pour cette substance, conformément à l’exigence légale en vigueur depuis 2006.

    Cette analyse de risque se base sur différents critères : utilisation du produit, propriétés physico-chimiques, propriétés du devenir dans l'environnement de la substance active, propriétés écotoxicologiques.

    Aussi, une guidance existe pour la réalisation de l’analyse et décrit une approche en deux phases. La Phase 1 consiste à calculer la concentration environnementale prévue dans les eaux de surface (PECsw) et à dépister les PBT (Persistant, Bioaccumulable et Toxique) afin d’identifier les molécules nécessitant une analyse plus approfondie. La phase 2, elle, vise à mener des études de devenir environnemental et des études écotoxicologiques. Pour les perturbateurs endocriniens, on ne suit pas le chemin classique, une analyse de risque adaptée est nécessaire, avec par exemple l’analyse de l’impact sur plusieurs générations de poissons pour les composés oestrogéniques.

    Après avoir expliqué la démarche suivie par l’entreprise pharmaceutique pour déterminer le risque lié à l’Esterol, Céline Gérard a partagé les conclusions des études réalisées ; l’E4 ne représente pas de risque anticipé pour l’environnement dans son utilisation comme contraceptif.

    Le résultat de cette analyse a été le point de départ de nombreux questionnements et a conduit à une collaboration avec l’Unité de Recherche en Biologie Environnementale et Evolutive (URBE) de l’UNamur avec pour objectif de :

    • Confirmer les résultats avec plusieurs espèces de poissons (zebrafish) ;
    • Étudier l’effet cocktail ;
    • Comprendre le mécanisme d’action chez les poissons et les raisons du profil environnemental plus favorable de l'E4 (pour le développement d’autres composés notamment).

    Enfin, Sébastien Baekelandt, docteur et chercheur à l’URBE de l’UNamur, a présenté le projet de recherche mené avec Mithra en vue de caractériser en profondeur l’impact environnemental de l’Estetrol (comparaison de l’Ethinylestradiol (EE2) et de l’Esterol (E4) + Drospirénone sur les zebrafish).

    Il a brossé le contexte de l’étude qui a débuté en 2020, la méthodologie utilisée et les résultats obtenus aux différents stades d’analyse dans le temps ; 21 jours, 5 mois, 5 ans.

    En conclusion, retenons que les données disponibles suggèrent que l’Esterol (E4) présente un profil écotoxicologique plus favorable que l’Ethinylestradiol (EE2) et serait donc une alternative plus sûre pour l’environnement.

    Plus de 100 000 tonnes de produits pharmaceutiques sont consommés chaque année dans le monde. Au cours de leur cycle de vie, de nombreux résidus sont libérés dans l’environnement, et ce, malgré la présence de stations d’épuration des eaux usées. Les substances libérées sont reconnues comme ayant des impacts variés sur la faune sauvage et sur le fonctionnement des écosystèmes.

    Puisqu’il est impossible, techniquement et financièrement, d’éliminer entièrement ces substances des eaux usées, le principal défi est de travailler en amont en renforçant la surveillance des produits pharmaceutiques et en développant des médicaments plus durables et respectueux de l’environnement.

    Après un bref rappel du contexte règlementaire et une présentation des défis actuels et futurs en matière d’écotoxicologie, cette conférence permettra d’illustrer un exemple de collaboration entre le milieu universitaire et une entreprise qui œuvre à la caractérisation et au développement de produits pharmaceutiques plus respectueux de l’environnement.

    Cet exemple proviendra de l’entreprise Mithra Pharmaceuticals qui collabore avec le monde universitaire (notamment avec l’équipe du professeur Patrick Kestemont, URBE - UNamur), afin de caractériser en profondeur l’impact environnemental de l’Estetrol, au-delà des demandes des agences règlementaires.

    En effet, l’entreprise pharmaceutique développe actuellement des produits innovants à base de l’estrogène naturel Estetrol. Alors que les produits à base d’estrogènes actuellement présents sur le marché sont largement décrits comme impactant l’environnement (dont le développement et les capacités reproductives des poissons), l’Estetrol présente un profil plus respectueux de l’environnement et serait donc une alternative plus sûre.

    Dans le cadre de l’initiative One Health de l’ULiège