Orateur(s)
Angélique Léonard Professeure Ordinaire (Chemical Engineering, Faculté des Sciences Appliquées, ULiège)
Bruno Lombaert Maître de Conférences (Faculté de Droit, de Science Politique et de Criminologie, ULiège) & Avocat (Stibbe)
Rob Renaerts Directeur (Coduco)

Impacts environnementaux des marchés publics : un cercle vertueux ?

    Résumé

    Cette rencontre-conférence a mis en exergue les leviers existants pour introduire plus de durabilité dans les marchés publics.

    Bruno Lombaert, Maître de Conférences (Faculté de Droit, de Science Politique et de Criminologie, ULiège) & Avocat (Stibbe), nous a d’abord exposé les outils que la règlementation des marchés publics met à disposition des acheteurs pour favoriser le verdissement des marchés publics (MP). L’UE met en place une politique d’instrumentalisation des marchés publics (MP), qui jouent un rôle de levier important dans sa stratégie en faveur du développement durable. Le cadre législatif européen qui supporte cette instrumentalisation des MP, se compose de plusieurs directives (hard law) mais aussi d’outils « soft law » comme des livres blancs, manuels de bonnes pratiques, normes, labels, fiches d’achats durables… Ces outils peuvent aider à rédiger les clauses environnementales. 

    Quelques grandes observations à retenir par rapport à la réglementation actuelle :

    • Elle favorise le recours à des procédures flexibles pour encourager la recherche et l’innovation (procédures négociées, dialogue compétitif et partenariat d’innovation) ; 
    • Elle reconnait l’importance des objectifs environnementaux ;
    • Elle introduit de façon explicite les coûts du cycle de vie en tant que critère d’attribution.

    Quant aux principes généraux, ils rappellent que « les opérateurs économiques sont tenus de respecter… et de faire respecter toutes les obligations applicables dans les domaines du droit environnemental, social et du travail établies par le droit de l’Union européenne, le droit national, … » (sous peine de sanction en cas de manquement). La législation encourage également les adjudicateurs à promouvoir dans leurs MP l’efficacité énergétique et les véhicules propres. 

    En tant qu’adjudicateur, l’intégration utile des enjeux d’écologie et de durabilité impose de faire usage du cadre légal et réglementaire existant en faisant preuve d’innovation et en étant conscient des limites imposées par les règles des MP.

    La première chose à faire est de déterminer clairement son besoin et donc l’objet du contrat. En définissant ce dernier, on définit aussi les objectifs et les critères qui en découlent. Le respect de l’environnement ou les performances environnementales peuvent être un critère d’attribution important. Bruno Lombaert souligne l’importance de privilégier l’utilisation de procédures d’attribution et de structurations contractuelles flexibles. Parmi les critères de sélection, les critères de capacités techniques permettent d’inclure différents modes de preuve d’application (références de marchés exécutés, équipement, système de suivi…) et d’exiger le respect de certaines normes de qualité. Parmi les principaux points d’attention, il faut pouvoir déterminer des exigences objectives et vérifiables. 

    Concernant les critères d’attribution et l’évaluation des offres, on peut se baser sur des facteurs relatifs aux aspects environnementaux mais il ne faut pas confondre critères d’attribution et de sélection (qui ne permettent pas de valoriser la meilleure offre). Les précautions à prendre :

    • Les documents de marché doivent décrire la méthode de calcul du coût ;
    • La méthode se fonde sur des critères vérifiables de façon objective et non discriminatoires (comme un référentiel) ;
    • Les critères ne peuvent discriminer certains opérateurs économiques.

    Les clauses environnementales peuvent aussi concerner l’exécution du marché (via par exemple dans le cahier des charges, une clause de réexamen, une clause de pénalités ou encore une clause de bonification).

    Rob Renaerts, Directeur de Coduco, entreprise spécialisée dans l’introduction de clauses environnementales dans les MP, a ensuite présenté les coûts du cycle de vie et leur intégration dans les MP. Leur implémentation se fait à l’étape de la construction du cahier des charges, qui précise l’objet du marché, les spécifications techniques et les critères d’exécution et d’attribution. Les coûts cycle de vie permettent de prendre en compte les coûts cachés, qui découlent notamment de l’apparition de nouveaux business models. Ces nouveaux business models ne font plus de bénéfices sur la vente des produits mais sur la vente des consommables personnalisés pour leurs produits (comme les capsules de café pour la machine à café, les cartouches d’encre pour les imprimantes). Le législateur a vu apparaître le problème et il a intégré un paragraphe sur les coûts du cycle de vie dans la réglementation MP. Rob Renaerts a illustré ses propos par l’exemple de la voiture électrique, plus chère à l’achat mais moins chère (de 10%) après 5 ans d’utilisation si on prend en compte tous les critères (taxes, énergie, etc.). La dimension des coûts du cycle de vie est intéressante à intégrer dans les MP car elle aide à faire une projection réelle des coûts d’un achat mais il faut faire les calculs pour le savoir.

    Le coût du cycle de vie peut être intégré dans beaucoup de marchés et types d’achats. En demandant quelque chose en plus, on peut fortement économiser (par exemple en choisissant une machine économe en énergie). Pour l’implémenter, il faut prévoir un scénario transparent qui prend au minimum en compte l’énergie, l’eau et les autres consommables directs. Le choix du scénario va énormément influencer le calcul du coût du cycle de vie. Il est important de choisir un scénario réaliste et précis, préférablement basé sur des chiffres de consommation mesurés dans le passé. L’analyse du coût du cycle de vie est un outil de comparaison pour attribuer un marché de manière objective.

    Il a ensuite présenté sa « solution magique » : peser les critères d’attribution sur base du scénario du coût du cycle de vie (car on met rarement un scénario coût cycle de vie dans un MP). En prenant l’exemple d’un lave-vaisselle, les critères d’attribution sont le prix, l’énergie et l’eau. En prenant du temps pour faire les calculs à l’avance, le résultat peut ressembler à un cahier des charges classiques. 

    En conclusion, le coût du cycle de vie est récemment (2014) apparu dans la législation MP. C’est un outil financier qui permet de mieux connaître les coûts cachés d’un achat et de favoriser des produits qui consomment moins. L’implémentation se fait pour certains marchés spécifiques, ayant des coûts d’utilisation élevés et des consommables. 

    Angélique Léonard, Professeure Ordinaire (Chemical Engineering, Faculté des Sciences Appliquées, ULiège), a ensuite mis en avant plusieurs outils/critères pour objectiver les critères environnementaux dans les MP :

    • Le principe DNSH (Do Not Significant Harm) qui vise à vérifier que les projets ne causent pas de préjudice important aux objectifs environnementaux européens définis dans le Règlement Européen sur la Taxonomie européenne ; 
    • Le bilan carbone, un bilan des gaz à effet de serre (GES) pour une organisation ou un territoire qui intègre une stratégie de réduction ;
    • L’échelle de performance CO2 qui vise à favoriser la sélection d'entreprises engagées dans la réduction des émissions de CO2 lors d'appels d'offres. Elle présente l’intérêt d’offrir un avantage financier à l’entreprise (plusieurs marchés-pilotes en cours en Belgique) ;
    • Un monitoring des flux de chantiers publics via le CO2, une démarche pilote en Wallonie qui intègre de la réduction des émissions de CO2 dès le processus de sélection et d’attribution du marché public, et dans la mise en œuvre avec des données analysées régulièrement en cours de chantier (application Co2deus); 
    • Les labels (ceux de type 3) qui nécessitent une analyse du cycle de vie (ACV) complète et aboutissent à des déclarations EPD (environmental product declaration). Angélique Léonard a donné l’exemple des B-EPD dans la construction qui sont obligatoires dans certains cas (en cas d’allégation environnementale et pour être intégré dans TOTEM) ; 
    • TOTEM, un outil belge pour évaluer l’impact environnemental des bâtiments et éléments de construction et qui peut être utiliser dans un critère de MP. 

    Enfin, Angélique Léonard a expliqué la méthode de l’ACV, une approche multicritère sur un produit en particulier qui permet d’éviter les transferts d’impacts. Elle a rappelé les 4 étapes de l’ACV : définir le but et le champ de l’étude, réaliser un inventaire (étape la plus longue, nécessitant des données génériques et spécifiques), évaluer l’impact (caractérisation), interpréter les résultats (qu’on peut reprendre dans une EPD).

    La Professeure a conclu en soulignant que les clauses environnementales prennent de l’importance dans les marchés publics et qu’il existe de multiples possibilités de critères. Les mesures prises par l’UE pour lutter contre le greenwashing et favoriser des produits durables et écoconçus vont encore renforcer l’intérêt, dans le futur, pour l’outil ACV notamment. En effet, les allégations environnementales vont pousser les soumissionnaires à prouver ce qu’ils affirment. 

    Les marchés publics influencent les dynamiques économiques en stimulant l'activité commerciale et en favorisant la concurrence entre les entreprises.

    Dans un contexte où la durabilité est un impératif, ils jouent un rôle pour être moteur de changement vers une économie plus soutenable.

    À cet égard, le droit des marchés publics fournit déjà des instruments permettant de poursuivre les objectifs de développement durable et permet aux adjudicateurs publics d’insérer, dans leurs documents de marché, des clauses environnementales de divers types.

    Cependant, une lacune importante réside souvent dans le manque de références claires et de normes bien définies et reconnues pour guider l'application de ces clauses environnementales, ce qui complexifie les choix des adjudicateurs.

    Heureusement, des outils et méthodes permettant d’évaluer les impacts environnementaux sont de plus en plus développés par les acteurs économiques comme, par exemple, les méthodologies pour déterminer les coûts du cycle de vie d’un produit.

    Ainsi, les efforts consentis par le monde économique, éclairés notamment par les recherches scientifiques sur les impacts environnementaux des matériaux, produits et services peuvent, à leur tour, et dans un cercle vertueux, renforcer le rôle des marchés publics en tant que catalyseur de changement.

    Cette rencontre-conférence mettra en exergue comment toutes les parties prenantes - autorités publiques adjudicatrices, opérateurs économiques, monde la recherche - peuvent participer, ensemble, au mouvement de définition de labels et normes plus durables.