Orateur(s)
Angélique Léonard Professeure Ordinaire (Faculté des Sciences Appliquées, Chemical Engineering, ULiège)
Marc-Antoine De Mees Owner (Brasserie de Brunehaut)

Rencontre-conférence en ligne

Brasseries et écologie, faut-il se mettre la pression ?

En collaboration avec LUXEMBOURG CREATIVE
    Résumé

    Cette conférence sur les brasseries et la durabilité a commencé par un échange entre Christelle Gillet (Luxembourg Créative, RISE, ULiège) et Marc-Antoine De Mees, CEO de la brasserie Brunehaut.

    Marc-Antoine De Mees a commencé par présenter brièvement la brasserie Brunehaut, son histoire et ses caractéristiques. Une de ses particularités est de produire des bières certifiées biologiques à 100% et 100% locales.

    Il a également évoqué la « Regenerative Beer Alliance », créée pour des raisons économiques suite à la crise du covid et de l’énergie, et qui collabore avec un fond à Impact, Scale up. Elle regroupe plusieurs brasseries artisanales qui ont un impact sur l’agriculture régénérative en Belgique.

    M. De Mees a ensuite abordé la question des contenants [04:52]. La brasserie Brunehaut travaille essentiellement avec des bouteilles en verre consignées, à l’exception de séries spéciales, pour la Belgique, le Nord de la France et les Pays-Bas (60% des contenants). Par contre, ce qui part plus loin à l’exportation n’est pas consigné. Le choix de la consigne a été motivé par une réflexion écologique mais aussi économique (écotaxe pour le verre perdu…). La brasserie Brunehaut possède une station de lavage de bouteilles pour les 33cl (90% de la production) et le reste est lavé à l’extérieur (avant en Bourgogne et maintenant à Liège avec Bring Back). Avec la crise de l’énergie, le prix des bouteilles a fortement augmenté et cela devient intéressant économiquement de les faire laver, même pour les plus petites brasseries.

    [11:00] Au niveau des étiquettes, Marc-Antoine De Mees souligne un problème car les microbrasseries n’ont pas les moyens d’acheter une étiqueteuse à colle chaude (à base de caséine) et donc le parc des bouteilles est aujourd’hui relativement pollué par des étiquettes impossibles à enlever dans le lavage des bouteilles. Actuellement, la Fédération des brasseurs a demandé aux pouvoirs politiques de sortir un arrêté royal pour obliger à mettre des étiquettes enlevables sur les bouteilles consignées.

    La question des canettes a ensuite été abordée et c’est un sujet complexe car c’est une bonne solution du point de vue du produit, l’aluminium est 100% recyclable et plus léger. Cependant quand les canettes ne sont pas recyclées, c’est un désastre environnemental. Un autre inconvénient, la canette n’est pas assez solide pour une refermentation en bouteille.

    [18:27] Marc-Antoine De Mees a ensuite détaillé les actions réalisées par Brunehaut et prises en compte dans la certification BCorp (depuis 2021), qui s’appuie sur plusieurs piliers : Planète, Communauté, Client, Gouvernance, Collaborateurs. Parmi ces actions, citons : 75% des besoins en électricité sont couverts par des panneaux solaires ; des pratiques zéro déchet et circulaires avec une utilisation des drêches de 3 manières différentes (compost bio, burger végé, crackers) et l’usage de la biométhanisation ; une filière d’approvisionnement locale avec des producteurs rémunérés au prix juste ; une distribution ciblée et locale (pas de centrales en grande distribution) ; investissements réalisés à la demande du personnel … Le label induit aussi de la transparence et tout est disponible publiquement sur le site de BCorp.

    En conclusion, pour les petites structures, le processus de décision est plus facile mais il est plus compliqué de dégager des ressources (temps, énergie…).

    [30:33] Angélique Léonard, Professeur à l’ULiège, a ensuite présenté la méthodologie de l’Analyse du Cycle de vie ou ACV. En préambule, elle a rappelé qu’il ne fallait se focaliser uniquement sur la réduction des émissions de CO2 en oubliant les autres impacts environnementaux. Elle a expliqué pourquoi il existe aujourd’hui beaucoup de confusion autour du bilan carbone, initialement développé pour une organisation ou un territoire et non pour un produit, et autour de la notion de scopes. Cette confusion provient notamment de la multiplication des outils à disposition.

    L’ACV permet d’adopter une approche multicritère, ce qui est essentiel. Les forces de l’ACV sont :

    • son approche produit,
    • elle est multicritère,
    • elle est holistique sur l’ensemble du cycle de vie,
    • elle permet d’éviter les transferts d’impacts,
    • différentes approches sont possibles (gradle to gate, cradle to cradle, cradle to grave).

    Une ACV ne se fait pas n’importe comment, il y a un processus normé et une définition.

    Angélique Léonard a présenté les intérêts de mener une ACV : dans une vision diagnostic, cela permet de savoir où l’on en est et de pouvoir communiquer objectivement, et dans une vision « éco-conception », on peut améliorer son processus, comparer les alternatives existantes et même l’utiliser lors de la R&D de nouveaux produits. Elle a également illustré comment l’ACV permet d’éviter les transferts d’impacts (au sein du cycle de vie et par rapport aux autres impacts environnementaux).

    Les 4 étapes de la méthode ACV ont ensuite été détaillées [43 :25] :

    1. Définir ce que l’on veut étudier (but et champ de l’étude)
    2. Réaliser l’inventaire, la partie la plus chronophage du processus, qui nécessite une récolte d’informations assez conséquente (provenant de l’entreprise et de bases de données commerciales reconnues pour l’ACV). On quantifie tous les flux entrants et sortants, ressources consommées et les émissions.
    3. Evaluer l’impact en convertissant les inventaires grâce à des logiciels spécifiques.
    4. L’interprétation (identification, vérification, explication des résultats et conclusions et recommandations) lors de laquelle il est important d’être transparent sur les hypothèses.

    L’ACV est un outil d’aide à la décision qui ne couvre que les impacts environnementaux, pas économiques, sociaux… et pas encore les impacts sur la biodiversité, les paysages …

    Angélique Léonard a ensuite fait un focus sur le monde brassicole [53:54]. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’on ne sait pas généraliser en ACV. Elle a donné l’exemple de la logistique et des contenants. Lors de la production d’une bière générique, les impacts principaux proviennent de l’orge, de la chaleur et de  l’électricité utilisés. Pour le contenant, si on se focalise sur les petits formats (type bouteille ou canette), les paramètres-clés sont : la masse du contenant par unité de boisson, la nature du contenant, le contenu en matières recyclées, le processus de recyclage, le nombre de réutilisations et la supply chain.

    Après avoir donné plusieurs exemples d’analyse, Angélique Léonard a conclu en soulignant que l’ACV est un outil complexe avec divers avantages, utile pour l’écoconception et une communication environnementale. Dans le monde brassicole, il n’y a pas de réponse unique mais si on ne sait pas éviter la bouteille à usage unique, l’aluminium est un bon compromis, et en cas de réutilisation, il est important d’optimiser la chaîne. Au-delà du besoin de sensibilisation et de formation, il est nécessaire de pouvoir disposer de données spécifiques et d’être prudent face aux données et aux hypothèses formulées, en adoptant un regard critique.

    Retrouvez ci-dessous les slides et le replay de la présentation :

    Brasseries et écologie, faut-il se mettre la pression ? from LIEGE CREATIVE

    L’évaluation de l’impact environnemental des produits de consommation fait l’objet d’un intérêt croissant et, comme les autres industries, les brasseries n’échappent pas à la règle.

    Pour les producteurs, cette évaluation permet à la fois de cibler des pistes d’amélioration via l’écoconception et de communiquer les performances vers les consommateurs. Pour les consommateurs, disposer du profil environnemental d’un produit, permet d’orienter les décisions d’achats sur base de critères objectifs, en plus des aspects économiques.

    Lors de cette conférence en ligne, deux points de vue complémentaires seront présentés.

    Marc-Antoine De Mees présentera sa stratégie en vue de réduire l’impact environnemental des contenants utilisés pour la bière. Il élargira aussi la réflexion écologique aux autres aspects du produit, la brasserie artisanale Brunehaut étant la première brasserie européenne certifiée BCorp (en 2021). Il détaillera notamment l’axe « planète » qui évalue les pratiques globales de gestion environnementale de l’entreprise ainsi que son impact sur l’air, le climat, l’eau, la terre et la biodiversité.

    Angélique Léonard (ULiège) présentera comment la méthode de l’analyse du cycle de vie permet d’objectiver l’impact environnemental de diverses solutions présentes sur le marché, qu'il soit question du contenant (bouteille en verre à usage unique, bouteille en verre consignée, canette en alu, fûts…) ou des autres aspects du produit. Cette méthode standardisée permet d’évaluer de manière quantitative un grand nombre d’impacts environnementaux, dont le changement climatique. La chercheuse rebondira également sur les propos partagés par la brasserie Brunehaut.

    Face aux enjeux environnementaux et sociaux actuels, la réussite d’une entreprise ne peut plus se mesurer uniquement à l’aune de son résultat financier. Cette rencontre se veut inspirante pour toutes les brasseries (des microbrasseries aux brasseries industrielles) et autres entrepreneurs qui souhaitent s’embarquer sur le chemin de la durabilité.


    Inscription gratuite mais obligatoire.
    Le lien d’accès vous sera envoyé le matin de la conférence.