Orateur(s)
Eric Le Coguiec Docteur en Architecture et Professeur (Faculté d’Architecture, ULiège)
Pavel Kunysz Architecte, Sociologue et Aspirant FNRS (Faculté d’Architecture, ULiège)
Julien Bebronne Coordinateur projet "A Place To Be-Come" (AREBS)

L'urbanisme tactique comme outil d’intégration sociale dans un quartier en transition

    Résumé

    Il y a une vingtaine d’années, les démarches urbanistiques étaient tournées vers des pratiques qui s’inscrivaient dans le temporaire. Historiquement cette approche venait des décideurs et était donc souvent critiquée par les citoyens car elle s’éloignait des besoins locaux. Aujourd’hui, nous voyons différents type d’urbanisme prendre forme.

    L’urbanisme traditionnel vient d’une approche infrastructurelle. L’urbanisme transitoire/temporaire a un objectif un peu différent de l’éphémère puisqu’il vise les occupations passagères préalables aux aménagements plus pérennes (exemple de Paris plage). L’urbanisme tactique, quant à lui, se construit sur du plus long terme, et part des besoins locaux d’un territoire. L’urbanisme de transition consiste en un processus de fabrication de l’urbain.

    Il existe de nombreuses études de cas concernant l’appropriation de l’espace public par des initiatives citoyennes en vue d’habiter autrement la ville.

    Eric Le Coguiec et Pavel Kunysz poursuivirent l’explication avec l’exemple du Bâtiment 7 à Montréal, un cas d'initiative tactique pérenne, qui s’inscrit dans une période de crise économique et sociale. L’histoire de ce lieu n’est pas anodine. En effet, il est né suite à la mobilisation de la population contre la mise en œuvre d’un projet de casino au profit d’un lieu de rassemblement alternatif accessible et bouillonnant de projets (cours de réparation de vélos, repas collectifs, concerts…) Ce bâtiment se situe dans le Sud-Ouest de Montréal, un quartier industriel. 

    Quelques années plus tard, un autre collectif s’est mobilisé pour empêcher la démolition de ce bâtiment au profit de nouvelles infrastructures. Il s’en est suivie une négociation ardue entre l’acteur public, le propriétaire et la communauté pour arriver à la cession du bâtiment au collectif. Au final, cette transition aura duré 10 ans pour que ce bâtiment soit cédé de façon pérenne. L’initiative a permis la création de logements sociaux ainsi que le maintien de l’identité ferroviaire du quartier.

    Cet exemple nous montre la complémentarité des différentes stratégies mises en place : confrontation, lutte, négociation, et prise en compte des acteurs.

    Historiquement, ces pratiques alternatives émanaient plutôt des artistes qui mettaient en place des actions temporaires (exemple : le mouvement Dada, Jane Jacobs…) et se définissaient comme un mouvement subversif. Aujourd’hui, il s’agit d’opérations endogènes. L’urbanisme est pensé directement en prenant en compte ces pratiques d’associations, de collaborations, d’interactions, d’insertions, d’interventions …

    C’est alors que l’on retrouve des "buzz words" pour définir ces lieux ainsi qu’une omniprésence de l’esthétisme (palettes de bois, plantes, fauteuils vintage,…)

    Il est important de remettre en question ce modèle et de s’en « moquer » gentiment, pour identifier et comprendre que les politiques publiques de mise en œuvre intègrent aujourd’hui systématiquement ces termes. C’est l’instrumentalisation des pratiques alternatives par les politiques urbaines qui est, en effet, critiquée car quand elles s’emparent du projet pour finalement s’éloigner de la participation citoyenne. Il est néanmoins possible de revenir à l’essence même de la démarche pour une participation/inclusion citoyenne non instrumentalisée.

    Il faut, dès lors, impliquer les citoyens en amont de la participation citoyenne, leur permettre de donner leur avis sur les cahiers des charges des appels à projets citoyens, jusqu’aux outils que le public va mettre à disposition des citoyens pour favoriser et suivre le projet.

    Julien Bebronne, enchaîna sur la définition de Benjamin Pradel (sociologue et urbaniste) de l’urbanisme temporaire : « L’organisation et l’aménagement du territoire pour avoir des effets sur le long terme ».

    Il distingue donc 3 types d’urbanisme temporaire : le tactique, le transitoire et l’éphémère. L’urbanisme temporaire a comme objectifs de réanimer les espaces, de se les réapproprier, de les valoriser, mais aussi de pouvoir y prototyper, ajuster et communiquer sur divers projets/initiatives. L’occupation temporaire se trouve au sein même du processus créatif.

    Il faut par ailleurs, être prudent face aux principes des marchés publics. En effet, pourquoi une structure comme 11h22 serait-elle plus à-même d’occuper l’Ancienne Mairie d’Ougrée que les citoyens qui habitent dans le quartier de Trasenster ?

    Il donna alors l’exemple du 54 Dérivation, tiers-lieu Liégeois, pour expliquer comment créer des services et des produits pour les habitants des alentours. Il faut partir des besoins de l’utilisateurs pour faire émerger des projets (bottom-up), contrairement au canevas des marchés publics qui ont des démarches « top-down ».

    Julien Bebronne poursuivit en présentant le projet « A Place to Be-Come » via notamment les différentes creative station qui seront mises en place à Seraing. Il expliqua comment le projet a pu fonctionner et comment ils ont pu approcher les citoyens malgré le COVID. L’équipe s’est mobilisée pour aller chez le citoyen et entendre ses besoins.

    Concernant projet de la Maison du Peuple, ils se sont demandés « comment favoriser la rencontre fortuite et comment maximiser l’usage du lieu ? ». Ils ont également fait un état des lieux pour cibler les différentes initiatives à favoriser puis à concrétiser pour fabriquer des dispositifs relationnels, enchanteurs et à réifier l’identité collective.

    Retrouvez les slides de la présentation ci-dessous :

    Dans l'évolution d'un territoire via un master plan, les quartiers connaissent d’importants changements en termes de développement urbain et économique. L’arrivée de nouveaux projets modifient la physionomie des quartiers, ainsi que leurs activités.

    Dans le cadre d'un processus de reconstruction, il est important de veiller à ce qu’il profite aux habitants actuels, avec leurs aspirations et leurs besoins propres pour améliorer leur cadre de vie.

    En d’autres termes, il s'agit de faire en sorte que les habitants deviennent partie prenante de leur quartier et l'aident à évoluer pour arriver à une intégration sociale réussie et une adéquation avec les besoins locaux.

    Depuis les années 2000, on a vu émerger de nouvelles pratiques urbanistiques centrées sur une utilisation temporaire de l’espace des villes. Léger et moins coûteux, cet urbanisme est envisagé comme un modèle urbain alternatif aux pratiques traditionnelles basées sur la planification longue et les aménagements lourds. D’abord citoyennes, ces pratiques ont peu à peu intégré la boîte à outils des professionnels de l’aménagement. Celles-ci sont souvent qualifiées d'urbanisme « tactique » ou « de transition ».

    Cette conférence visera notamment à préciser ce qui se cache derrière cette notion d'« urbanisme tactique » ; une pratique souvent mise en œuvre, finalement, par des professionnels invités par les institutions à fabriquer des dispositifs relationnels, enchanteurs et à réifier l’identité collective. Des illustrations seront apportées, issues d’exemples belges et canadiens.

    Enfin, une analyse critique sera proposée pour considérer l’impact que pourraient avoir de telles pratiques à Seraing, comme ailleurs.