Orateur(s)
Sophie Pirotton Assistante de Recherche (HEC Liège, ULiège)
Isabelle Houben Responsable Progrès et Stratégie, Direction Innovation (Safran Aero Boosters)
Delphine Gilman Responsable Relations Institutionnelles et Stratégie (CHU de Liège)

Numérique responsable : croiser la recherche avec la réalité de terrain

    Résumé

    La rencontre-conférence de ce midi portait sur le numérique responsable, un concept qui pourrait paraitre relativement complexe à travailler, sans un apport méthodologique. Ce à quoi s’emploie Sophie Pirotton, Assistante de Recherche au sein du Digital Lab (HEC Liège) dans le cadre d’un projet qui se penche sur la question, sous le prisme des sciences de gestion. Plus particulièrement, ce projet, réalisé en collaboration avec l'Institut belge du Numérique responsable, vise à contribuer à la littérature académique (article de recherche, revue de littérature) pour clarifier le concept ainsi qu’à produire un guide pratique pour les entreprises partenaires.

    Le projet est piloté par le Digital Lab et le SLab d'HEC, se situant à la croisée de la transition numérique et durable.

    Sophie Pirotton nous a présenté le cadre de ses travaux avant de céder la parole à deux représentantes du consortium d’entreprises engagées dans la démarche.

    Lorsque l’on évoque « le numérique responsable », de quoi parle-t-on ?

    Il n'existe pas de définition universellement acceptée, mais une proposition est la conception, le développement et l'usage conscient et raisonné de produits et services digitaux sur base d'une démarche durable pour minimiser l'impact négatif et amplifier les bienfaits environnementaux et sociétaux.

    On le sait, le numérique inclut appareils, logiciels, technologies émergentes (blockchain, machine learning), infrastructures (data centers) et services digitaux (YouTube, par ex.).

    La chercheuse a expliqué les différentes étapes de ses travaux dont la première a consisté en un état de l'art de la littérature académique, révélant que de nombreuses études sont très récentes (un tiers en 2024, 80% depuis 2022).

    Un cadre conceptuel a été développé, classifiant les impacts dans quatre grandes catégories :

    1. Le numérique comme source d'impacts environnementaux néfastes (stratégie : atténuer ces problèmes). Ex : consommation d'énergie sur tout le cycle de vie, déchets électroniques, effets indirects/structurels comme l'effet rebond.
    2. Le numérique engendrant des problèmes sociétaux/Human IT (stratégie : atténuer ces problèmes). Ex : fracture numérique, incertitude sur le marché du travail (automatisation, ubérisation), enjeux éthiques liés à l'information (désinformation, biais IA, deepfakes).
    3. Le numérique comme solution aux problèmes environnementaux/IT for Green (activités humaines causes de problèmes environnementaux). Ex : modélisation du changement climatique, suivi des performances environnementales des entreprises, jumeaux numériques pour optimisation.
    4. Le numérique comme solution aux problèmes sociétaux humains/IT for Human. Ex : traçabilité (alimentaire, fournisseurs), communication pour réduire l'isolement, levier d'innovation pour les ODD, facilitation de l'économie circulaire.

    Sophie Pirotton, en clôture de son intervention, a eu l’occasion d’évoquer sa volonté de poursuivre avec un projet doctoral de 4 ans démarrant en octobre 2025, visant à décliner la recherche actuelle en articles scientifiques, et un accompagnement personnalisé des entreprises–partenaires. Plus d’info sur le projet et contact.

    Delphine Gilman, Responsable Relations Institutionnelles et Stratégie (CHU de Liège) a ensuite partagé dans quelle mesure le numérique responsable se trouve dans la feuille de route « durabilité » du CHU, et l’intérêt de se voir ainsi accompagné et challengé par le projet mené par Sophie Pirotton. Cette démarche leur a permis de se poser les bonnes questions, d’objectiver la réflexion, et d’avoir accès à une expertise certaine pour définir quelques balises et avancer pas à pas dans la voie d’un numérique responsable. Cet enjeu de durabilité se retrouve dans plusieurs axes stratégiques : gestion des données/cybersécurité, achats/marchés publics (analyse cycle de vie, écoconception, choix des systèmes), résilience/robustesse (gestion des outils numériques en routine et crise).

    En termes d’enjeux majeurs, Delphine Gilman a pointé les enjeux liés à l'information et à la formation sur le numérique responsable. Elle a également insisté sur la nécessité d'une décision institutionnelle claire et d'une gouvernance adaptée pour que la politique percole à tous les niveaux. Notamment, l'utilisation de l'intelligence artificielle est au cœur des préoccupations. En effet, parfois utilisée "sous le radar", l’IA nécessite aujourd’hui notamment une politique claire, ainsi qu’une bonne information pour éviter un surusage qui compromettrait les efforts de numérique responsable.

    Participer aux ateliers a aidé à structurer la réflexion et à définir les priorités, mais les modalités pratiques demandent encore des discussions. Les ateliers et l'outil conceptuel sont très intéressants pour apprendre, ordonner les idées et remettre en question certaines certitudes. L'attente pour la suite est de voir plus clair et de définir des actions concrètes pour le terrain.

    C’est ensuite, Isabelle Houben, Responsable Progrès et Stratégie à la Direction Innovation chez Safran Aero Boosters qui a partagé son expérience au nom de l’entreprise engagée également dans le projet de « numérique responsable ».

    Elle a expliqué que de façon générale, le développement durable est important pour Safran Aero Boosters, qui travaille notamment à décarboner l'aviation et à réduire l'empreinte des ateliers (biodiversité, consommation d'énergie, autonomie via électrification/renouvelables). L'empreinte numérique, bien que semblant moindre pour une usine, s'inscrit dans cette vision globale. Participer au projet leur a permis d'ouvrir l'esprit sur différentes possibilités d'action, même si certaines mesures peuvent sembler difficiles à appliquer dans leur contexte. S'associer à un projet de recherche était important pour montrer les problématiques de terrain et ancrer la recherche académique dans la réalité de l'industrie.

    Un enjeu principal pour l’entreprise est la cybersécurité, l'entreprise devant constamment maintenir des systèmes sécurisés et à jour. Or, ceci pourrait sembler en contradiction avec l'augmentation de la durée de vie et la réparabilité du matériel. En effet, Safran agit sur d'autres aspects comme le recyclage, confiant le matériel à une association qui le reconditionne pour des écoles.

    Tout comme Delphine Gilman pour le CHU, Isabelle Houben a souligné l’importance de la formation et de la sensibilisation du personnel ; un personnel très diversifié en métiers et usages du numérique, ce qui rend difficile la définition de politiques uniques. De nombreuses formations et sensibilisations sont organisées, notamment pour l'utilisation de l'IA (e-learning requis pour apprendre à prompter et utiliser l'IA uniquement quand nécessaire).

    Tout comme le témoignage du CHU, Isabelle Houben a conclu en se réjouissant, pour la suite du projet, de définir des actions concrètes applicables sur le terrain.

    Si le digital est un levier incontournable de développement et d’innovation, il n’est pourtant pas sans impact sur l’environnement et la société.

    À l’heure où les entreprises cherchent à accélérer leur transition vers un modèle durable, comment faire face aux effets négatifs de la digitalisation croissante (pollution, consommation énergétique exponentielle, production de gaz à effet de serre, fracture numérique…), tout en profitant de ses avantages ?

    Le « numérique responsable » englobe un ensemble de pratiques visant à réduire l'empreinte écologique et sociale du digital, tout en favorisant une utilisation responsable des technologies pour contribuer aux enjeux de durabilité. Il offre aux entreprises un cadre stratégique essentiel pour guider leurs actions.

    Lors de cette conférence, Sophie Pirotton nous partagera sa recherche scientifique sur le sujet. Son objectif principal est de contribuer significativement à la littérature dans le domaine du numérique responsable.

    L’originalité de cette recherche tient également dans son format qui implique directement les attentes et réalités du terrain et vise à apporter des outils et des réponses concrètes aux entreprises partenaires du projet. Deux organisations partenaires complèteront l’exposé de la chercheuse par un partage d’expériences.

    Cette rencontre permettra aussi aux organisations intéressées par la démarche de manifester leur intérêt à rejoindre la suite de ce projet lancé par le Digital Lab et le S'Lab de HEC Liège.

    Objectifs de Développement Durable