Orateur(s)
Gilles Vandewalle Maître de Recherches FNRS, Professeur Associé (ULiège) et Co-Directeur (GIGA-Centre de Recherche du Cyclotron)
Kathleen Jacquerie B.A.E.F. Postdoctoral Research Fellow in Neuroscience (Marder Lab, Brandeis University, Boston)

Progrès en neurosciences : quelles complémentarités entre recherches computationnelles et expérimentales ?

    Résumé

    Cette conférence mettait en avant la complémentarité des approches computationnelles et expérimentales pour faire progresser la recherche en neurosciences.

    Gilles Vandewalle, Maître de Recherches FNRS, Professeur Associé (ULiège) et Co-Directeur (GIGA-Centre de Recherche du Cyclotron), a commencé par rappeler le but des neurosciences, à savoir, découvrir les bases neuronales de nos comportements. L’orateur a cité différentes techniques utilisées par la recherche expérimentale et a partagé les schémas du cerveau humain générés par ce type de recherches. Il a d’emblée souligné que, si  ces représentations se basent principalement sur des tests effectués chez des animaux – ce qui présente l’avantage de pouvoir réaliser des mesures invasives, il s’agit d’admettre que les animaux n’ont pas exactement le même cerveau que l’humain. Ainsi, pour bien comprendre ce qui se passe dans le cerveau humain, est-il est nécessaire de développer des techniques non-invasives et donc, des recherches computationnelles.

    Appuyant l’importance de la modélisation, Gilles Vandewalle a mis en exergue que celle-ci était évidemment constitutive des installations des plateformes technologiques qui constituent le GIGA (ULiège) telles que le Cyclotron, In vivo imaging, par exemple). 

    Il a ensuite donné trois exemples de recherches menées ces dernières années, afin d’illustrer la complémentarité des approches computationnelles et expérimentales. 

    Le premier exemple concerne l’IRM, une technologie très versatile qui modélise un signal magnétique réémis par le tissu cérébral suite à une stimulation électromagnétique. Gilles Vandewalle l’a utilisé pour étudier la régulation du sommeil et plus spécifiquement la structure « locus coeruleus » (LC), une très petite structure donc plus facile à étudier avec l’IRM. Il a explicité que cette étude a permis aux chercheurs de montrer le lien entre l’intensité du sommeil paradoxal et l’activité du LC. Effectivement, l’activité d’éveil peut permettre d’en savoir plus sur l’activité de sommeil. Ce premier exemple montre que modéliser un signal (IRM) permet d’obtenir des résultats utiles, à la fois pour les neurosciences expérimentales et computationnelles.

    Le deuxième exemple concerne le lien entre le sommeil et l’apprentissage perceptuel (mémoire utilisée par exemple par le musicien pour détecter les notes de musique). Les chercheurs ont observé une amélioration de la performance après le sommeil car, parmi les zones dédiées à l’apprentissage, certaines sont impactées par sommeil. On savait que les ondes lentes étaient liées à l’apprentissage et la mémoire (augmentation corrélée avec la performance) mais l’apport de la recherche computationnelle (IRM et reconstruction de sources EEG) a permis de déterminer que cela doit se passer dans une zone spécifique

    Le troisième exemple s’intéresse à la physiologie du système circadien et inclut la combinaison des méthodes TMS (perturbation magnétique de l’activité neuronale) et EEG qui permet d’enregistrer la réponse neuronale de façon non-invasive. Cette recherche mesure l’excitabilité du cortex lors de la privation de sommeil et a permis de lier l’excitabilité cortical avec le comportement (corrélation des performances à l’excitabilité corticale). Les causes des changements d’excitabilité en également pu être étudiées en appliquant un modèle de masse neurale. Autre bel exemple de complémentarité car les modèles permettent de tester les données empiriques qui permettent d’améliorer en retour, les modèle in silico

    Gilles Vandewalle a d’ailleurs conclu en soulignant le cercle vertueux qui existe entre travaux computationnels et empiriques. 

    Kathleen Jacquerie, Postdoctoral Research Fellow in Neuroscience (Marder Lab, Brandeis University, Boston), a commencé son intervention en revenant sur l’histoire des neurosciences et l’évolution des techniques employées. Cette introduction a permis de prendre conscience des avancées importantes réalisées depuis le siècle dernier où des méthodes « barbares » étaient employées. Pour bien comprendre la complémentarité entre computationnel et expérimental, l’oratrice a rappelé qu’il s’agissait de bien comprendre le fonctionnement du neurone. Et d’évoquer les travaux de Hodgkin et Huxley qui, les premiers, utilisent les équations de l’électricité pour mesurer/représenter l’action neurone. 

    Leur contribution la plus célèbre est le modèle mathématique appelé le modèle Hodgkin-Huxley, qui décrit comment les neurones génèrent et transmettent des signaux électriques, connus sous le nom de potentiels d'action. Kathleen a expliqué que, dans son parcours d’ingénieure en électricité, ce modèle mathématique avait été, pour elle, la révélation du champ d’application qu’elle souhaitait investiguer : « je peux utiliser des équations d’électricité pour modéliser des neurones ». 

    C’est ainsi que Kathleen a consacré sa recherche doctorale à la « Modélisation de la consolidation de la mémoire dépendante de l’état d’activité du cerveau ». Grâce à des modèles existants des neurones, elle a pu démontrer pouvoir répondre à des questions actuelles : quels liens entre les états d’apprentissage et de repos et la mémoire. 

    Ses travaux l’ont menée à s’intéresser aux différents états du cerveau, caractérisés par différentes activités. Kathleen Jacquerie s’est intéressée au switch entre l’état d’apprentissage (tonic) et l’état de repos (burst) qui correspond à un potentiel d’action suivi par une période silence. Ce faisant, elle a utilisé les outils d’ingénierie pour décrire la biophysique en créant un modèle capable de reproduire la transition entre les états. Pour réaliser cela, elle a utilisé les données de la recherche expérimentale (données biologiques), condition indispensable pour créer un modèle réaliste.

    A propos de la mémoire, elle a créé un modèle pour décrire la plasticité synaptique. Grâce à la création de ces réseaux de neurones, elle cherchait à comprendre comment la mémoire se consolide quand elle passe du stade d’apprentissage au repos. En effet, si l’on sait que le repos est utile pour la mémoire, on ne sait pas ce qui passe exactement dans le réseau neuronal. Avec ce genre de modélisation de réseau de neurone, on peut faire des expériences, en bloquant certains éléments par exemple. 

    Dans le cadre de son doctorat, les deux challenges de la chercheuse étaient d’améliorer les modèles existants pour les rendre plus réalistes, en s’inspirant du cerveau et d’utiliser ses modèles pour comprendre comment la mémoire fonctionne. Au final, son modèle a bien montré pourquoi le repos est utile à la mémoire

    Kathleen Jacquerie a clôturé son exposé en reprenant de la hauteur afin de souligner encore que les synergies entre recherches computationnelle et expérimentales sont nécessaires pour faire advenir une recherche plus complémentaire et durable. S’il est indispensable de disposer de données expérimentales pour consolider les modèles, ces derniers permettent à leur tour de faire progresser l’empirisme. De plus, ces synergies sont garantes d’économies  au niveaux énergétique et des coûts (en effet, la neuroscience computationnelle présente un coût carbone important, là où la recherche expérimentale implique de conséquents coûts économiques ). 

     

    Cette rencontre-conférence aux expertises croisées nous intéressera au cerveau, cette énigme captivante. Les exposés mettront en lumière la complémentarité des recherches computationnelles et expérimentales pour progresser dans les connaissances dans le domaine passionnant des neurosciences.

    En effet, dans de nombreux cas, les recherches computationnelles complètent les recherches expérimentales en permettant aux chercheurs de tester des hypothèses dans des environnements contrôlés, d'explorer des systèmes complexes et de prédire des résultats avant de les tester dans le monde réel. 
    Ainsi, fini les méthodes barbares et archaiques de dissections crâniennes, les avancées technologiques révolutionnent l'approche. Les nouvelles machines permettent d'explorer l'activité globale du cerveau ou de zoomer au cœur pour enregistrer la microactivité neuronale. En parallèle, la neuroscience computationnelle, utilisant mathématiques et codes informatiques, esquisse des modèles à différentes échelles, offrant une vision approfondie du cerveau, des neurones à son ensemble complexe.

    Kathleen Jacquerie illustrera ces avancées en se basant sur ses travaux qui consistent à construire des modèles informatiques reproduisant l'activité neuronale lors de l'apprentissage ou du repos. Modélisations et équations à l’appui, elle explore le rôle des moments de repos dans la consolidation de la mémoire, contribuant ainsi à décoder certain des mystères du cerveau humain…

    Gilles Vandewalle présentera, quant à lui, une partie des techniques de neuroimagerie humaine disponibles au sein de la plateforme CRC de l’ULiège et exposera comment il s’en sert pour mieux comprendre le sommeil. Il caractérise la régulation de l’activité neuronale durant l’éveil et le sommeil pour comprendre son importance pour la cognition dans le vieillissement et pour les maladies neurodégénératives. Il illustrera enfin son utilisation des modèles informatiques pour investiguer ses questions de recherche.

    L’intervention de Kathleen Jacquerie se fera à distance, depuis Boston, où elle réalise son post-doc à la Brandeis University.