Orateur(s)
Alice Clarebout Doctorante (Faculté des Sciences Sociales, IRSS, ULiège)
Alix Ernoux Assistante (Faculté de Droit, de Science Politique et de Criminologie, Cité, ULiège)
Grégor Stangherlin Directeur Administratif f.f. (Ville de Liège)
Adamo Antoniadis Chef de Projet Promotion de l'Intégration (Ville de Zurich)

La carte ardente : une solution d'accès aux droits fondamentaux ?

    Résumé

    Notre rencontre-conférence ce midi était consacrée à un projet d’innovation sociale, « La Carte Ardente », « carte citoyenne communale », également connue sous le nom de « carte d’identité municipale » selon les circonstances.
    L’initiative est née d’une volonté de remédier aux inégalités subies par les personnes migrantes sans papiers. Mais, bien plus largement, et dans une optique d’inclusivité et de solidarité, son but est de lutter contre toutes les inégalités de la population et de renforcer le sentiment d’appartenance à l’échelle des villes. Ainsi, un aspect phare du projet est bien que l’utilisation de la carte soit généralisée à tous les résidents, afin, notamment, de ne pas générer de discrimination.

    Alice Clarebout (Doctorante en Faculté des Sciences Sociales, IRSS, ULiège et membre du GT Carte Ardente) a débuté la séance en rappelant l’historique du projet ainsi que ses sources d’inspiration, la carte la plus aboutie étant celle de la ville de New-York ( appelée la « IDNCY»), où elle existe depuis 2014. Elle a d’emblée mis en évidence que la première raison pour laquelle les gens utilisent la carte dans cette ville, est pour manifester leur soutien à la démarche. Un point important à signaler car il souligne l’adhésion et la solidarité avec le projet et les personnes qui en bénéficient le plus.

    Solidarité qui se trouve au cœur du projet, comme le rappelleront tous les intervenants de cette rencontre.

    Qu’est-ce qu’une carte citoyenne ? C’est, en quelque sorte, une carte d’identité délivrée par une entité communale, qui atteste de deux choses : l’identité d’une personne ainsi que sa résidence sur le territoire de la commune

    Qu’est-ce qui sous-tend un tel projet ?

    Ces initiatives sont mises en place par les municipalités pour lutter contre les inégalités, par une simplification administrative qui rend effectif l’accès aux droits fondamentaux, et également pour renforcer le sentiment d’appartenance à l’échelle locale, en rassemblant tous les citoyens et citoyennes autour d’un même projet. Les cartes citoyennes municipales assurent ainsi une forme d’identification alternative et une preuve de résidence à l’ensemble des personnes qui résident sur le territoire de la ville, ce qui fait de ce dispositif un outil de citoyenneté urbaine inclusif.

    Par la valorisation du principe de résidence plutôt que de la validité du titre de séjour, les municipalités qui s’inscrivent dans les initiatives de cartes d’identité municipales assurent à tout·e·s leurs résident·e·s un droit à être citoyen·ne·s, peu importe leur domiciliation et leur statut de séjour. Ainsi les villes qui l’adoptent favorisent grandement le sentiment d’appartenance au territoire de la ville.

    En Belgique, il y a confusion entre identité et titre de séjour. Sans titre de séjour, pas de carte d’identité. Or, il faut pouvoir prouver son identité pour avoir accès à des droits qui ne dépendent pas du titre de séjour. La carte citoyenne communale se veut un moyen d’identification alternatif qui permet localement de faire valoir les droits fondamentaux et la participation sociale.

    Concrètement ? la Carte Ardente, valable exclusivement sur le territoire communal, accorderait aux résident·es liégeois·es des facilités d’accès à des services et des réductions auprès de lieux et d’organisations qui consentiraient à établir un partenariat avec le projet.

    Quels bénéfices en attendre pour la Ville, de façon générale ?

    En mettant en place un tel outil, Liège pourrait réactiver l’intérêt de ses concitoyens à l’égard de la vie communale, redynamiser l’attrait auprès des commerces locaux, raviver un sentiment d’appartenance locale, renforcer la fréquentation des offres culturelles de la ville, mettre en avant la richesse de la diversité liégeoise, améliorer la cohésion sociale de la population et valoriser la solidarité inhérente à la fière identitaire de la cité.

    Par ailleurs, la Carte Ardente comblerait un certain nombre de besoins en raison des situations précaires et d'inégalités sociales de certaines personnes, telles que les sans-abris, les personnes LGBTQIA+, les jeunes, les étudiant.e.s, les seniors et les personnes migrantes (avec ou sans titre de séjour).

    Alice Clarebout a conclu sa présentation en signalant que le projet “Carte Ardente” est toujours en cours de réflexion. Et qu’actuellement, c’est plus la peur de l’inconnu qui est un frein. En effet, c’est un dispositif qui n’a pas encore été mis en place en Europe sous cette forme.

    Néanmoins, d’autres cartes d’identité́ communales sont mises en œuvre ou vont l’être bientôt partout dans le monde ; et notamment en Suisse à Zurich. A distance, nous avons pu bénéficier du retour d’expérience des démarches en cours à Zurich, grâce à Adamo Antoniadis Chef de Projet Promotion de l'Intégration (Ville de Zurich).

    Tout en pointant les spécificités de la ville zurichoise (avec notamment une très grande diversité au sein de la population), Adamo Antoniadis a raconté l’historique du projet depuis le scepticisme des autorités en 2015, jusqu’à la phase actuelle de préparation en vue de l’usage de la « Zurich City card », et ce, notamment après 2 demande d’avis juridique auprès de l’Institut de droit public de l’université de Zurich. Epinglons que 3,2M € de francs suisses ont été votés pour les travaux préparatoires en cours, dans une perspective de ville accueillante.

    Après avoir évoqué les différentes phases de développement du projet initié il y a 8 ans, ses freins et leviers, Adamo a partagé que, si une telle carte ne pouvait pas répondre à toutes les attentes des « sans papiers » , il peut être intéressant de poursuivre différents objectifs par différents moyens. En effet, toutes les discussions engagées dans la ville ont donné lieu à différents efforts et initiatives qui peuvent faire la différence pour les sans-papiers. Citons quelques exemples fructueux (comme par ex. en 2020 pour l’accès aux soins de santé, … ).

    Alix Ernoux, (Assistante en Faculté de Droit, de Science Politique et de Criminologie, Cité, ULiège) a pris la suite des présentations en prenant la position, peut-être, la plus inconfortable : identifier les possibilités juridiques du projet.

    Comme on le sait, la Belgique est un système fédéral complexe, avec des compétences exclusives ou partagées.

    Afin de clarifier le contexte, elle a rappelé le rôle des communes et leurs interactions avec l’Office des étrangers (l’Agence responsable de la loi en matière de séjour et d’accès au territoire). Et de rappeler l’importance que services et données soient bien isolés (un garde-fou pour la protection des données et qu’aucune information potentiellement préjudiciable aux individus ne soit collectée au niveau communal).

    La chercheuse a ensuite répondu à 2 questions :

    - Est-ce possible de faire une carte citoyenne communale ?

    Pour répondre à cette question, la chercheuse a rappelé que pour que la commune se saisisse de compétences, elles doivent être d’intérêt communal et ne pas être fédéral (ce qui est le cas de l’émissions de la carte d’identité).
    La promotion de la vie culturelle et sportive sont, par exemple, des compétences communales.
    Ainsi, la réponse à la question est oui si la carte est vue comme une alternative à la carte d’identité, là où cela est permis par la loi. Deuxième argument pour répondre par la positive, la commune a l’obligation de respecter les droits fondamentaux des personnes (ainsi, celui d’accéder à une certaine tranquillité et à la salubrité, par ex.)

    - Quelles utilisations de cette carte communale ?

    Accès à la justice
    Accès aux commerces
    Droit au sport et à la culture

    Après avoir partagé ces pistes de réflexions au niveau juridique, Alix Ernoux a souligné qu’il existe bien différents niveaux d’acceptation de cette carte. Avec des points sur lesquels il est possible de travailler dès maintenant...

    Enfin, Grégor Stangherlin (Directeur Administratif f.f. à la Ville de Liège, en charge notamment du plan de cohésion sociale) a refermé la séance en partageant qu’à ses yeux, le développement du projet est tout à fait pertinent dans le contexte liégeois, engagé historiquement dans des actions de lutte contre le racisme, mais aussi, aujourd’hui, dans des projets tels qu’URBACT ou UNIC qui incitent à des innovations sociales. Il a rappelé aussi la motion de “Liège Ville Hospitalière” votée par le Conseil communal à l’unanimité le 27 novembre 2017, dans la foulée de la campagne du CNCD.

    Liège se caractérise par la superdiversité de sa population. Plus de 30% de la population sont d’origine hors européenne.

    La carte ardente est un instrument de cohésion sociale qui revêt un sens particulier en terme de politique publique. Elle peut contribuer à améliorer la politique d’accueil. Pas seulement en donnant accès aux sans papiers mais en améliorant l’accès aux droits de l’ensemble de la population et travailler l’interculturalité au quotidien.

    Retrouvez ci-dessous les slides de la présentation :

    La carte ardente : une solution d'accès aux droits fondamentaux ? from LIEGE CREATIVE

    Depuis un an, la Ville de Liège s’intéresse à un projet issu de la société civile visant à établir une carte citoyenne communale pour toutes les personnes résidant sur le territoire communal.

    L'accès aux services communaux ou à certains lieux (sportifs, culturels, éducatifs, associatifs, commerciaux), requiert parfois de donner son identité (nom et prénom) et de prouver sa résidence (habiter sur le territoire communal). En pratique, pour la plupart des citoyen·ne·s, cela revient à présenter sa carte d'identité. Mais qu'en est-il de ceux et celles qui n'en disposent pas ?

    À travers la carte citoyenne communale se trouve l'idée de donner accès à chacun·e aux services de la commune où il·elle réside et, par ce biais, de donner l'accès aux droits fondamentaux et ainsi lutter contre les inégalités. Parmi les autres effets positifs d’une telle carte, citons encore le renforcement du sentiment d’appartenance à une ville et de divers liens entre les citoyens. New-York et prochainement Zurich ont déjà adopté une carte citoyenne. Monsieur Antoniadis, Chef de Projet Promotion de l'Intégration à la Ville de Zurich, interviendra, à distance, à ce sujet.

    Actuellement à l’étude à la Ville, et ce en co-construction avec les acteurs de la société civile liégeoise tout secteur confondu, le projet de la Carte Ardente prend de plus en plus de consistance. Ainsi Liège devient un incubateur de projets d’innovation sociale qui pourrait inspirer d’autres villes.

    De nombreuses questions de recherche entourent la mise en œuvre d'un tel projet. Celles-ci touchent à sa faisabilité matérielle et financière ainsi, bien entendu, qu’à de nombreuses questions d’ordre juridique .

    Ce sont ces questions que nous aborderons à l’occasion de cette rencontre-conférence. Un débat passionnant et neuf où tout est encore à explorer et à discuter, que l'on soit universitaire, travailleur dans le secteur public, associatif ou privé, ou tout simplement citoyen·ne curieux·se.