Orateur(s)
Sébastien Doutreloup Professeur associé (Faculté des Sciences, Dpt de Géographie, Climatologie et Topoclimatologie, ULiège)
Bernard Longdoz Professeur (Gembloux Agro-Bio Tech, ULiège)
Catherine Marlier Co-Founder & Managing Director (CultivAé)

L’agriculture belge face au changement climatique

    Résumé

    Sébastien Doutreloup, Professeur associé en climatologie, a débuté en dressant le constat du réchauffement climatique. Il a souligné que l'évolution observée des températures moyennes sur Terre ne fait qu'augmenter, avec une courbe qui se redresse, illustrant une accélération du réchauffement. Cette tendance est attribuée de manière certaine aux émissions de gaz à effet de serre liées aux activités humaines. Sur les cinq scénarios d'émissions établis, les scénarios de très basses émissions sont considérés comme purement théoriques, car les émissions mondiales n'ont cessé d'augmenter depuis 2020. Si les Accords de Glasgow étaient respectés, le réchauffement atteindrait 3 degrés à l'échelle planétaire d'ici la fin du siècle, mais la géopolitique actuelle laisse présager une trajectoire vers les scénarios les plus élevés. En Belgique, le réchauffement est environ deux fois plus rapide que la moyenne mondiale. Les projections pour la fin du siècle montrent que la Belgique pourrait se réchauffer annuellement de 4 à 5 degrés. Ce réchauffement sera plus marqué en été qu'en hiver. Une conséquence directe est l'augmentation des canicules, qui devraient atteindre en moyenne 40 jours par an d'ici la fin du siècle, rendant l'été quasi caniculaire.

    Concernant l'hydrologie, le changement de précipitations annuelles n'est pas significatif. Cependant, la répartition saisonnière sera profondément modifiée : beaucoup plus de pluie en hiver et beaucoup moins pendant la période végétative estivale. En combinaison avec l'augmentation de l'ensoleillement (jusqu'à 15% en Ardenne), cela entraînera une diminution du contenu en eau du sol estimée entre 20 et 40%. Le Professeur Doutreloup a souligné que la succession récente d'années très sèches (2017, 2019, 2022) était prévue par les modèles climatiques seulement vers 2050-2060, suggérant que les projections climatiques sous-estiment le réchauffement actuel.

    En se focalisant sur la viticulture, l'analyse des zones viticoles belges montre que les vignobles actuels se réinstallent aux mêmes emplacements historiques qu'entre le XIe et le XIXe siècle. L'indice héliothermique d'Huglin montre une tendance claire et statistiquement significative à l'augmentation depuis les années 1980. Le climat est passé de « très frais » à « frais » et se dirige vers un climat « tempéré ». Les projections indiquent qu'à partir de 2050, la Belgique passera en climat tempéré, puis tempéré chaud (2070), et potentiellement chaud à la fin du siècle. Ce voyage climatique correspond à un déplacement viticole de 1000km vers le sud en un siècle. En 2050, la Belgique sera climatiquement l'équivalent de la Bourgogne actuelle. Par conséquent, les cépages actuels (Chardonnay, Pinot Gris) seront remplacés par des variétés du sud de la France (Cabernet, Merlot, Grenache). La date de vendange avance également, gagnant près d'un mois pour le Pinot Noir depuis les années 70, projetée autour de début septembre en 2100.

    Cependant, ces avantages sont nuancés par le paradoxe du gel : bien que le dernier gel recule, le débourrement (sortie du bourgeon) recule plus vite, ce qui augmente la période de risque de gel pour la vigne. Ce risque accru touche déjà les vignobles au nord de la Loire et même le Bordelais. De plus, l'augmentation du taux de sucre dans le raisin obligera à vendanger plus tôt pour maintenir l'équilibre, ce qui modifie la typicité du vin. Bien que la Belgique se trouve dans la zone « verte » européenne bénéficiant de la viticulture, Sébastien Doutreloup a conclu qu'un monde à +5° apporterait d'autres problèmes bien plus graves.

    Le Professeur Bernard Longdoz de Gembloux Agro-Bio Tech, ULiège, a ensuite expliqué comment les changements climatiques impactent le fonctionnement des cultures, notamment celui du blé.
    L'augmentation lente de la température n'est pas nécessairement négative, puisque l'optimum de photosynthèse se situe autour de 25 degrés. Néanmoins, l'augmentation de la température active également la respiration cellulaire (consommation d'énergie et production de CO2), ce qui réduit le bénéfice net. L'effet sur le rendement du blé est mitigé, de l'ordre de quelques pourcents positifs ou négatifs selon les régions et les variétés, mais la hausse de la température entraîne clairement un avancement des saisons de végétation et des récoltes plus précoces.
    Le gel tardif constitue une menace sérieuse, pouvant réduire la survie du blé d'hiver non acclimaté à 50% à des températures comme à -6 degré. Les vagues de chaleur (températures maximales dépassant les 30 degrés entraînent des pénalités de rendement importantes (plusieurs centaines de grammes par mètre carré par rapport aux 800 g/m² de rendement moyen belge). Ces vagues nuisent à la germination, détériorent la chlorophylle, et réduisent la capacité photosynthétique et la production de feuilles.
    Un facteur bénéfique majeur pour les cultures est l'effet fertilisant du CO2 : une concentration accrue (jusqu'à 560 ppm) permet aux plantes d'absorber davantage de carbone et peut augmenter le rendement de 20% pour la plupart des espèces.

    Concernant la sécheresse, elle provoque la fermeture des stomates sur les feuilles. Bien que cela prévienne l'embolie (mort de la plante par bulle d'air dans les vaisseaux) et l'excès de transpiration, cette fermeture empêche le CO2 de rentrer, menant à un arrêt de la croissance. La sécheresse se traduit par des pertes de rendement claires, souvent en dizaines de pourcents.
    Pour étudier la combinaison complexe de ces facteurs, Bernard Longdoz a présenté l'ECOTRON de Gembloux, composé de huit chambres climatiques de 45 m³ où l'environnement (température, CO2, pluie, lumière) est totalement contrôlé. Lors d'une expérience simulant une année « normale » en 2094 (haute température, haut CO2, sans sécheresse extrême), une boucle de rétroaction positive s'est installée, créant une biomasse énorme. L'effet critique observé fut que la plante a alloué beaucoup moins de carbone à ses racines. En conséquence, une simple période de deux semaines sans précipitation, qui n'aurait normalement pas engendré de problème, a provoqué un stress hydrique majeur, une diminution nette des capacités photosynthétiques, et finalement une mortalité, conduisant à un rendement affaibli (9 tonnes/hectare), loin des 20 tonnes prédites par les modèles. Ceci illustre que la combinaison des facteurs climatiques et l'allocation des sucres par les plantes sont des mécanismes encore mal compris.

    Catherine Marlier, co-fondatrice de CultivAé, dont la mission consiste à relocaliser des filières alimentaires en Belgique avec des pratiques d'agriculture régénérative, a ensuite pris la parole pour exposer les solutions pratiques mises en place pour augmenter la résilience agricole face aux défis climatiques, en se concentrant sur la restauration de la qualité des sols.
    La coopérative CultivAé a pour double objectif de stocker le carbone et de combattre l'érosion des sols, responsable de la perte de 10 tonnes de sol par hectare et par an, l'équivalent du rendement annuel du blé. Le projet est né de l'expérience d'un agriculteur qui, en arrêtant le labour pour la culture de betteraves, a immédiatement mis fin aux coulées boueuses.
    CultivAé agit en développant des filières locales, comme celle de l'orge brassicole soutenue par 20 brasseurs et 130 agriculteurs. Le financement est assuré par une prime Politique Agricole Commune (PAC) compensant la baisse de rendement due à l'utilisation de moins d'engrais. L'objectif fondamental est d'augmenter le taux de matière organique des sols, visant à remonter au niveau historique de 4% à partir du 1% actuel. Il faut environ 10 ans pour gagner 1cm de matière organique. L'agriculture régénérative est considérée comme viable si l'agriculteur reçoit un prix juste, car la matière première ne représente qu'une faible partie du coût final du produit (par exemple, 10% pour l'orge dans une bière).

    Les solutions techniques concrètes promues par CultivAé sont les suivantes : 

    1. Couverture maximale des sols toute l'année avec des couverts végétaux diversifiés (minimum trois espèces), ce qui maximise la biomasse et la photosynthèse, améliorant la structure du sol pour mieux absorber et restituer l'eau. 
    2. Réduction du labour pour préserver les micro-organismes.
    3. Réintégration de la biodiversité par l'agroforesterie, avec un appel fort à "planter au maximum". 
    4. Allongement et diversification des rotations (par exemple, sur 10 ans). 
    5. Utilisation limitée de produits phytosanitaires et maximisation des fertilisants d'origine organique. Catherine Marlier a souligné que la diminution de l'élevage pose déjà des problèmes d'approvisionnement en engrais organiques. 

    La coopérative lutte pour un prix juste, insistant sur le fait que les citoyens doivent soutenir l'agriculture belge face à la non-compétitivité des prix. Enfin, CultivAé a dû créer sa propre certification avec des cahiers des charges précis pour l'agriculture régénérative, afin que les agro-industries reconnaissent et valorisent ce produit différemment, visant à appliquer ces pratiques à grande échelle.

    Ce compte-rendu a été rédigé avec l’aide de l’IA.
     

     

    En Belgique, l’élévation des températures et de la concentration en CO2, et la modification des régimes de précipitations mettent en danger les équilibres naturels mais ouvrent aussi, parfois de manière paradoxale, de nouvelles perspectives pour certaines cultures. Dès lors, comment concilier adaptation, innovation et durabilité dans un contexte d’urgence climatique ?

    Après un état des lieux des effets du changement climatique en Belgique, un climatologue présentera un projet de recherche consacré à l’impact de ces transformations sur la viticulture. Ce secteur, en pleine expansion, bénéficie aujourd’hui de conditions climatiques plus favorables à la culture de cépages autrefois inadaptés à nos latitudes : comment, par conséquent, s’adapter aux aléas climatiques tout en tirant parti de ces nouvelles opportunités ?

    Certains dispositifs scientifiques de pointe permettent de simuler des environnements futurs en laboratoire et d'y placer des parcelles d'écosystème, offrant ainsi des pistes concrètes pour anticiper les transformations à venir. C’est le cas du TERRA-Ecotron qui sera ensuite présenté et qui a déjà permis d’étudier le comportement de différentes cultures telles que le froment dans des conditions climatiques projetées.

    Enfin, une coopérative agroécologique viendra partager son expérience de terrain. Engagée dans la transition vers une agriculture régénérative, bas-carbone et équitable, elle développe des filières locales autour de cultures comme l’orge brassicole, le blé panifiable, l’épeautre ou encore le lin oléagineux.

    Cette rencontre-conférence permettra de discuter des pratiques agricoles à mettre en place qui peuvent répondre aux défis climatiques tout en renforçant la résilience des territoires.

    Objectifs de Développement Durable