Orateur(s)
Jérémy Hamers Chargé de Cours en Etudes Médiatiques et Cinématographiques (ULiège)
Gérald Holubowicz Journaliste (Journalism.design)

Le Deep Fake, outil de falsification du réel ou nouvelle ressource créative ?

    Résumé

    Cette conférence-débat proposait quelques portes d'entrée pour mieux comprendre les tenants et aboutissants du Deep Fake, afin de cerner ce que l'émergence récente de cette pratique nous apprend au sujet de notre rapport à l'image aujourd'hui.

    Jérémy Hamers, chargé de Cours en Études Médiatiques et Cinématographiques à l’ULiège, a débuté cette rencontre-conférence en nous parlant d’éducation aux médias. Selon lui, le Deep Fake est un défi pour l’éducation aux médias aujourd’hui : l’image est-elle encore la trace de quelque chose ?

    [04:20] Il a ensuite introduit le sujet en resituant le Deep Fake dans une histoire plus longue. En effet, le problème du « faux » et de la manipulation du réel n’est pas nouveau. Il est apparu dès les débuts de la photographie. Celle-ci avait alors une double réputation contradictoire : celle de représenter la réalité et celle d’être une falsification du réel. Pour illustrer ses propos, Jérémy Hamers nous a partagé une série de photographies anciennes falsifiées (pour raisons politiques ou autres).

    Pour l’orateur, le Deep Fake est une complexification de cette question de falsification active. Avec une photographie, il est encore possible de retrouver un original alors que le Deep Fake, lui, consiste en une convergence de données. Et de rappeler qu’une image est d’abord un point de vue et qu’il faut toujours l’aborder avec une approche critique.

    [11:19] Jérémy Hamers nous a ensuite expliqué en quelques mots ce qu’est un Deep Fake, mot composé de « fake » (faux) et « deep learning » (type d’apprentissage d’une intelligence artificielle à partir d’une série de données). Le champ d’application des Deep Fakes est vaste et concerne principalement les milieux politique, pornographique et publicitaire. Avec le Deep Fake, on passe de l’ère de l’image-preuve à celle de la méfiance des images. Cette technologie est presque à la portée de tous et il est parfois difficile de savoir ce qui est vrai, sur le web particulièrement.

    [18:00] Cependant, la conclusion du chercheur est que le Deep Fake ne doit pas pour autant inquiéter car il marque aussi le retour de la valeur de l’image-trace et que, actuellement, les vidéos deep fakes nous disent clairement qu’elles sont des manipulations. Cela fait partie du contrat de lecture avec la personne qui visionne la vidéo.

    [21:30] Le journaliste français Gérald Holubowicz a ensuite commencé son exposé en rappelant que nous percevons le monde à travers nos sens et que ceux-ci peuvent être trompés. Le Deep Fake est une vidéo manipulée par un réseau de neurones et qui s’inscrit en réalité dans un écosystème soutenu par un ensemble d’autres technologies. Le Deep Fake est aussi un objet culturel et il implique de nouveaux rapports de pouvoirs entre individus. L’utilisation principale des Deep Fakes (plus de 95%) est le deep-porn qui utilise, le plus souvent, l’image de stars. Ce sont les femmes qui sont majoritairement visées et le Deep Fake peut être un outil de vengeance ou de manipulation envers des femmes de pouvoirs (avocates, journalistes…). Le Deep Fake est utilisé comme divertissement satirique, pendant la guerre (Russie-Ukraine par exemple), au cinéma, à des fins artistiques ou muséales (Musée Salvador Dali) … Il apparait également dans certains faits divers.

    [39:21] S’il est de plus en plus facile de produire des Deep Fakes (car la technologie évolue), cela reste encore difficile actuellement d’en produire de bonne qualité. S’intéresser à ceux qui les produisent, peut aussi donner une indication sur leur « gravité ». S’agit-il d’une communauté d’amateurs de Deep Fakes, des activistes ou des partis politiques, des acteurs de l’industrie du divertissement, des criminels ? Aussi, différents logiciels de création sont disponibles gratuitement, mais ils ont leurs limites.

    [42:05] Néanmoins, de façon générale, pour Gérald Holubowicz, les Deep Fakes peuvent constituer une menace. Il a terminé son intervention en nous donnant quelques clefs pour identifier un Deep Fake. Celui-ci pose des problèmes aux outils de détections actuels qui ne sont pas adaptés. Ainsi, il nous faut repenser nos méthodes, apprivoiser cette technique et renforcer notre réflexion préventive.

    La conférence s’est achevée par un riche débat de réflexions de la part du public et de nos intervenants.

    Retrouvez ci-dessous le replay et les présentations de cette rencontre :

    Le Deep Fake, outil de falsification du réel ou nouvelle ressource créative ? | LIEGE CREATIVE, 12.05.2022 from LIEGE CREATIVE

    Cette rencontre est à présent complète. Si vous souhaitez être inscrit·e sur liste d'attente, veuillez envoyer un e-mail à info@liegecreative.be

    Le Deep Fake ou "hypertrucage" recouvre un ensemble de pratiques et de manipulations techniques en son et en image, qui permettent de remplacer - quasi en temps réel - un visage, un corps ou une voix par un·e autre, pour produire un "enregistrement" d'un événement qui n'a jamais eu lieu. Bien que le Deep Fake se cantonne majoritairement encore dans le registre du divertissement, de la farce sur les réseaux sociaux ou de la publicité, il interroge notre rapport à l'information, au document et à la trace audiovisuelle.

    Pour ses détracteurs le Deep Fake serait le dernier fossoyeur d'un rapport sain et de confiance au document. Pour ses défenseurs en revanche, il serait synonyme d'une nouvelle liberté créatrice, désormais à la portée de tout internaute grâce à des applications gratuites.

    Entre diabolisation simpliste et techno-optimisme béat, cette conférence-débat proposera quelques portes d'entrée pour mieux comprendre les tenants et les aboutissants du Deep Fake, afin de cerner ce que l'émergence récente de cette pratique nous apprend au sujet de notre rapport à l'image aujourd'hui.