Orateur(s)
Kevin Maréchal Chargé de cours en Économie Écologique (Gembloux Agro-Bio Tech, ULiège)
Davide Arcadipane Référent en circuits-courts, agriculture urbaine et alimentation durable (Ville de Liège, (Echevinat du Développement économique et territorial) Analyste - chargé de mission "alimentation durable" pour l'intercommunale ISOSL)

Les circuits courts comme graines de changement

    Résumé

    Notre rencontre portait sur les circuits-courts en mettant en exergue un projet porté par la Ville de Liège et l'intercommunale ISoSL.

    Davide Arcadipane, chargé de mission "alimentation durable" pour l'intercommunale ISoSL et actif également au sein de la Ville de Liège en tant que référent en circuits-courts, agriculture urbaine et alimentation durable, nous a fait le récit de la mise en œuvre du dispositif, véritable levier de changement. Pour cela, il a répondu aux questions que lui a posées Aurore Falla, après avoir rapidement rappelé qu’ISoSL est une intercommunale liégeoise spécialisée dans les soins de santé, qui a la gestion de plusieurs hôpitaux et maisons de repos. Chez ISoSL, près de 12 000 repas par jour sont cuisinés (dont environs 4000 pour les crèches et les écoles). Ce qui place bien la structure comme une actrice stratégique pour améliorer l’alimentation des enfants liégeois, notamment.

    1. Dans quel contexte est née cette transformation ?

    Davide Arcadipane a rappelé que l’alimentation durable et les circuits courts font partie des priorités de la Ville de Liège depuis plusieurs années.

    En effet, on le sait, les enjeux et défis sont multiples aujourd’hui. Si on s’intéresse de plus près aux systèmes alimentaires, on réalise l’impact colossal que les systèmes alimentaires ont sur tous les enjeux actuels. Pour cette même raison, l’alimentation représente un levier d’action important. Alors, comment l’organiser en soutenant la transition et pour qu’elle soit juste, y compris pour les agriculteurs ?

    Pour y répondre, Davide Arcadipane pointe le rôle essentiel des autorités publiques.

    À Liège, tout a commencé par une mobilisation des citoyens s’exprimant (lors du processus participatif Réinventons Liège et Liège2025) en faveur de l’organisation, pour la Ville, d’une politique alimentaire intégrée qui soit à la fois durable, inclusive et ambitieuse.

    Premières décisions prise par la Ville (en 2018) : l’interdiction des perturbateurs endocriniens dans les écoles et les crèches, suivie de la volonté de réduire la distance entre les producteurs et les consommateurs.

    C’est dans la foulée que l’alimentation durable arrive également sur la table chez ISoSL grâce à Mme Maggy Yerna, échevin à la Ville de Liège et présidente du conseil d’administration de l’intercommunale ISoSL. Le 9 janvier 2019, ISoSL confirme son ambition en devenant signataire du Green Deal Cantines Durables. Décidé d’aller plus vite dans sa transition, ISoSL renforce alors ses équipes pour accélérer ce changement en cours.

    2. Qu’est-ce qui a permis à ISoSL de franchir le pas ?

    Plusieurs éléments :

    • La volonté politique à la Ville.
    • La vision managériale chez ISoSL (stratégie systémique couplée à une gestion du changement important).
    • Le partenariat avec la Ceinture Alimentaire liégeoise, les producteurs et coopératives. En effet, la Ceinture Aliment-Terre Liégeoise [CATL] est un projet de mobilisation des forces vives de la région liégeoise en faveur du développement d’une filière alimentaire courte, écologique et génératrice d’emplois de qualité. ISoSL s’appuye sur cette dynamique pour bâtir ses stratégies, sa vision et ses projets.

    3. Comment sont-ils arrivés à instaurer les circuits-courts au sein de l’organisation de la restauration collective chez ISoSL ?

    Pour répondre à cette question, Davide Arcadipane a développé les 4 axes majeurs du travail entrepris :

    • La politique d’achat (changer les manières de s’approvisionner afin que des produits durables entrent dans les cuisines, avec notamment pour conséquence vertueuse que le pouvoir d’achat d’ISoSL soit investi dans des systèmes alimentaires locaux, durables et résilients.)
    • La gestion de la production (notamment définir de nouveaux menus sains et équilibrés avec des produits frais et de saison en s'adaptant à la gamme de matières premières durables)
    • La réduction du gaspillage (réduire le gaspillage permet de réinvestir dans les filières de production durable tout en maitrisant nos coûts de production)
    • La sensibilisation à l’alimentation durable (élaborer une stratégie de communication autour de l’alimentation durable pour informer le personnel d’ISoSL, les enfants et leur entourage)

    ISoSL a fixé également un plan de développement pour arriver à une offre alimentaire 100% durable. Il a été décidé de commencer par les écoles crèches et d’atteindre cet objectif pour 2024. Il est également prévu d’étendre l’alimentation durable à d’autres bénéficiaires : patients, résidents, etc.

    4. Mais… qu’est-ce qu’une alimentation durable ?

    Pour répondre à cette question complexe, ISoSL est reparti de la définition réalisée par Manger Demain et de celle de la FAO pour élaborer sa vision avec une attention particulière au greenwashing et autres pratiques qui ne sont pas en phase avec leurs valeurs.

    Premier changement de paradigme concernant l’approvisionnement : adapter les besoins à l’offre du territoire et non exiger l’inverse.

    La rencontre avec les producteurs est essentielle car elle permet aux cuisiniers et diététiciens de comprendre l’histoire des produits qu’ils ont entre les mains. Il faut permettre au personnel des cantines de découvrir la diversité des productions locales.. Il est important de bien connaître l’offre afin de pouvoir rédiger un cahier de charges en adéquation avec les besoins. L’offre, ici, doit être comprise comme l’offre globale à un moment donné sur un territoire donné et non comme la remise d’une offre par un soumissionnaire.

    La législation sur les marchés publics n’est pas simple d’utilisation et fait référence à des principes fondamentaux européens. Pour cette raison, il n’est pas toujours aisé de trouver les critères adéquats. Une équipe multidisciplinaire composée du service des achats et de juristes (interne et externe à ISoSL) travaille sur l’introduction de critères pour que les produits soient respectueux de l’environnement, respectueux du bien-être animal, sains, équitables et ne participent pas au gaspillage alimentaire. S’ensuit une procédure classique avec les remises d’offre, les tests culinaires, la désignation du fournisseur, etc.

    Sur papier, ça a l’air assez simple d’introduire des produits durables dans les cuisines de collectivité mais en réalité c’est plutôt complexe (ou énergivore). Il y a des freins logistiques, humains, financiers (notamment une dualité entre l’exigence d’un prix faible venant des utilisateurs des cantines, et la nécessité d’offrir des prix rémunérateurs aux producteurs). Penser son marché de manière durable est donc un processus entier.

    L’élément clé qui permet ces changements, c’est la co-construction et la volonté partagée d’y arriver. La direction d’ISoSL nous donnent les moyens d’y parvenir. ISoSL a la chance d’être accompagnés par des personnes qualifiées à la CATL, Manger Demain, etc.

    5. Quels sont les impacts actuels de ce genre de mesures ?

    Les repas ont un impact direct sur la santé et le bien-être des enfants.

    Premièrement, de nombreuses études démontrent des liens existants entre situation socio-économique difficile et mauvaise nutrition. Face à la flambée de certains prix, il est important d’augmenter significativement les projets d’alimentation saine pour les enfants, de lutte contre la pauvreté mais aussi de recours aux produits locaux, de réinsertion socio-professionnelle et de mise à l’emploi.

    De manière plus large, la cantine scolaire est un service public indispensable qui est un espace privilégié d’inclusion sociale pour les enfants. Elle permet, en particulier aux enfants issus de familles défavorisées, de « bien manger » avec un repas complet, sain et équilibré.

    La politique alimentaire durable génère des externalités positives auprès de notre territoire.

    En 2023, ISoSL a dépensé environs 1 000 0000€ d’achat alimentaire pour les repas scolaires. 600 000€ étaient déjà consacrés à des achats durables ; ce qui démontre l’impact financier sur les producteurs.

    6. Quelles les objectifs pour la suite ?

    • Atteindre les objectifs de 100% durable : il ne manque les légumes et les féculents (ISoSL y travaille dur, notamment avec la création d’une légumerie conserverie à Droixhe).
    • Étendre cette offre durable à d’autres flux d’ISoSL et changer d’échelle
    • Mesurer l’impact en matière d’emplois, de dynamisme économique, de lien social et aussi et surtout en matière de santé publique si ISoSL atteindrait les 100% (2023).

    L’enjeu est d’établir de nouvelles relations étroites et mutuellement avantageuses entre producteurs, transformateurs et distributeurs. La question du juste prix est également centrale dans la démarche. Les marchés publics sont aussi un véritable levier pour la transition alimentaire…

    Il est urgent que les pouvoirs publics agissent en masse et de manière structurelle pour soutenir ces alternatives au niveau tant national qu’international, et en connexion avec les niveaux régionaux et locaux. La responsabilité des pouvoirs publics locaux est importante.

    La métropole a un rôle essentiel à jouer dans le soutien à une évolution des modes alimentaires des habitants de son territoire, que ce soit en développant des lieux d’échanges ou de production, des espaces de partage et d’apprentissage, ou bien en favorisant les circuits courts et ces filières économiques, en soutenant l’agriculture paysanne ou, simplement, en sensibilisant les citoyens à une alimentation plus durable.

    Au-delà du foisonnement d'initiatives observé durant la dernière décennie, les circuits courts constituent un thème de recherche pertinent car il permet (et requiert) de court-circuiter les schémas classiques d'analyse.
    En effet, on peut constater que, à des degrés divers, les nombreux acteurs impliqués dans cette dynamique des circuits courts repensent les cartes du jeu économique. Au travers des pratiques concrètes mises en œuvre, il·elle·s réinterrogent des notions-clés : En quoi consiste un intermédiaire ? Comment fixe-t-on un prix "juste" ? Qu'est-ce qu'une filière de proximité ancrée dans son territoire ?

    Pour cette raison, les circuits courts sont considérés comme des seeds of change dans les études sur la transition. Des innovations de niches susceptibles, à terme, d’engendrer une transformation du système agro-alimentaire.
    On constate, cependant, que de nombreuses initiatives peinent à consolider leur viabilité de façon pérenne, ce qui restreint leur potentiel transformatif. En Wallonie, des coopératives se sont ainsi alliées au sein d'un collectif pour mutualiser leurs forces et renforcer leur viabilité. 

    Sur la base de données récoltées en immersion au sein de ce collectif et dans une logique de recherche-action-participative (RAP), l’intervention de Kevin Maréchal visera notamment à exposer les contours de cette stratégie de pérennisation reposant sur la formation d’une structure inter-organisations. Il s'agit là d'une des voies possibles pour engendrer une transition, une voie singulière mais prometteuse et réplicable dans d'autres secteurs que celui de l'alimentation. 

    Il sera également important de discuter le rôle des pouvoirs publics pour accompagner et faciliter ce genre de dynamique. Davide Arcadipane nous expliquera comment ils ont mis en place ce type de projet porté par la ville de Liège et l'intercommunale ISoSL. Depuis plusieurs années, ces institutions publiques sont devenues de vraies pionnières en matière d'alimentation durable.