Quand l'environnement bâti soigne : dialogue entre architecture, neurosciences et santé mentale
Résumé
Notre conférence de ce midi s’est concentrée sur l'influence profonde de l'environnement bâti sur le bien-être, le stress et la santé mentale des individus, introduisant le concept de neuro-architecture.
En introduction de la rencontre, nos 3 intervenants ont demandé aux participants quels étaient les facteurs qui influencent leur ressenti à l'entrée d'un lieu, citant spontanément la couleur, la lumière, le volume, l'odeur, le bruit, les matières, l'espace, ou encore la vue sur l'extérieur.
Il a été souligné que l'aménagement d'un lieu induit des comportements différents et que, au-delà des facteurs physiques, des facteurs plus personnels et psychologiques entrent en jeu, tels que les souvenirs ou les attentes projetées sur un bâtiment. Laurent Farcy, Psychiatre et Psychanalyste (Société Belge de Psychanalyse), a mis en lumière cette dimension en évoquant la relation au bâtiment, qui n'est pas seulement physique, mais aussi une projection de ce que l'on se représente sur les murs, influencée par le vécu personnel et le vécu des autres qui y sont passés.
Alexandra Saunier-Kelleter, Architecte, a ensuite enchainé avec la question de l'action de l'environnement sur notre bien-être ou notre stress. Elle a présenté l'architecture comme un acte de soin, une approche différente qui utilise les neurosciences pour étudier les effets psychologiques de l'environnement, notamment grâce à l'imagerie cérébrale. Cette discipline, la neuro-architecture, analyse l'impact de chaque détail — couleurs, matières — sur le système nerveux, agissant du micro (maisons) au macro (villes et quartiers).
Elle a déploré une rupture contemporaine avec le vivant et la nature, exacerbée par les technologies et les rythmes de vie effrénés. Selon elle, l'architecture doit redevenir essentielle pour remettre du vivant et reconnecter l'humain à son lieu et à sa nature. Elle a insisté sur le fait que seulement 1% de notre perception est consciente, le reste étant traité inconsciemment par le cerveau via différents sens.
Stéphane Adam, Professeur Ordinaire (Faculté de Psychologie, Logopédie et Sciences de l’Éducation, ULiège), a introduit une nuance critique quant au terme « neuro-architecture », soulevant le risque de trop objectiver et de ramener tous les effets à la seule question du cerveau.
Il a rappelé que l'environnement influence également les relations humaines et la manière dont nous sommes perçus par les autres. Il a illustré ce point par des études montrant comment le simple fait d'être plongé dans un environnement médicalisé, ou d'interagir avec une personne portant un uniforme, modifie la perception de la dépendance et de la maladie, non seulement chez l'observateur mais aussi chez la personne elle-même. Le défi de la neuro-architecture réside donc dans la création d'un environnement suffisamment sécurisant pour permettre les soins sans induire l'aspect « malade ».
La discussion a également soulevé l'importance des dimensions sociologiques, sociétales et culturelles. Alexandra Saunier-Kelleter a reconnu que les mouvements sociétaux, comme la disparition des halls d'entrée ou l'évolution de la cuisine en pièce centrale et conviviale, modifient profondément les rapports interpersonnels et l'idée même de foyer. Elle a insisté sur le rôle de l'architecte, qui doit écouter les besoins profonds et individualisés des clients et des utilisateurs, qu'il s'agisse de projets privés ou publics. Cette approche implique un travail d'analyse considérable intégrant l'âge, la culture et les habitudes de vie.
Abondant dans ce sens, Laurent Farcy a souligné la difficulté de généraliser en raison de la variabilité culturelle. La construction est souvent un élément immobilier destiné à traverser les générations, nécessitant une vision à long terme et non court-termiste. Stéphane Adam a relevé la pression sociétale qui rend difficile la construction d'une idée d'habitat intérieur, obligeant l'architecture à répondre à des normes externes plutôt qu'à l'intimité. Cela crée une dichotomie où l'architecte risque de devenir un simple exécutant d'une tâche budgétée, au lieu de poser les questions fondamentales sur la place de l'habitat dans la société et la famille. Laurent Farcy a alors suggéré la nécessité d'un travail quasi d'interprétation du désir du client par l'architecte, en fonction de tous ces paramètres.
Alexandra Saunier-Kelleter a réaffirmé l'importance de l'architecte comme conseiller qui pose les bonnes questions et intègre les leçons des neurosciences, qui prouvent l'impact des choix architecturaux. Elle a rappelé que l'humain fait partie des cycles naturels (jour/nuit, saisons, lune), et que la reprise de conscience de ce lien est essentielle. La neuro-architecture promeut la réintégration des éléments vitaux : la respiration, l'eau, le sommeil, la nourriture et le mouvement. Elle a cité la biophilie (le lien avec la nature) et la nécessité de favoriser les mouvements, par exemple en mettant en avant les escaliers, pour contrer la sédentarité induite par l'évolution rapide de nos sociétés.
Stéphane Adam a ensuite illustré les conséquences néfastes de l'excès de sécurité et de l'aseptisation, notamment dans le contexte du vieillissement. Des habitats trop adaptés (comme des appartements de plain-pied de 50m²) peuvent entraîner la sédentarisation des personnes âgées en bonne santé, nuisant à leur vitalité. Il a insisté sur la nécessité d'une modularité de l'habitat capable d'absorber la dépendance sans développer l'excès d'aide. L'excès d'aide est un facteur majeur de dépendance, illustré par des exemples montrant comment l'implication aidante, socialement genrée, influence même le déclin cognitif des parents.
Laurent Farcy a abordé l'importance du cadre, même dans le contexte clinique, en mentionnant que l'architecture n'est jamais neutre. Il a partagé son expérience où l'introduction d'éléments personnels dans son bureau a créé une résonance avec l'intimité du patient, soulignant la complexité de l'interprétation des besoins intimes de l'utilisateur par l'architecte. L'enjeu de la relation et de la communication est central. Stéphane Adam a soulevé le manque de formation en communication dans le secteur médical et paramédical, une problématique qui, selon Alexandra Saunier-Kelleter, est également présente chez les architectes. Elle a insisté sur l'importance d'écouter au-delà des désirs superficiels (comme vouloir une piscine par mimétisme social) pour identifier le besoin profond.
Laurent Farcy a évoqué l'exemple des chambres d'isolement en milieu psychiatrique pour illustrer la dualité de la sécurité. Il a distingué la sécurité matérielle (privation de liberté pour éviter les blessures) de la sécurité émotionnelle (le lien). Il a raconté comment le changement de paradigme, limitant la durée d'isolement et se basant sur la sécurité du lien, a conduit à l'apaisement. Il a noté que, paradoxalement, certains patients en décompensation psychotique ont un besoin de retourner dans un espace confiné (comme une chambre d'isolement de couleur verte), qui leur offre un « contenant psychique » essentiel. Ce changement de paradigme, axé sur le bien-être et l'engagement plutôt que sur le traitement strict, montre l'impact direct du milieu sur la santé psychique des patients et des soignants.
En conclusion, Alexandra Saunier-Kelleter a souligné que des aménagements intégrant les principes de neuro-architecture (lumière naturelle, matières naturelles, vue sur la nature, mouvement) favorisent l'autonomie, la compétence et le lien social, en adéquation avec la théorie de l'autodétermination. Stéphane Adam a réitéré que les environnements aseptisés et artificiels (comme les couloirs hospitaliers classiques ou les bureaux en open space) qui manquent d'âme et de possibilité d'appropriation, sont délétères pour la santé mentale, le moral et le sentiment d'existence individuelle. Le fait de pouvoir s'approprier un lieu, de disposer d'une bulle d'intimité, et de se sentir en sécurité émotionnelle est un besoin fondamental, et l'architecture a un rôle majeur à jouer pour créer des lieux de vie qui soutiennent la vitalité et non la dépendance.
Ce compte-rendu a été rédigé avec l’aide de l’IA.
Annonce
Comment notre environnement bâti influence-t-il notre santé mentale, notre perception du monde et nos comportements quotidiens ?
Et si nos lieux de vie étaient bien plus que des décors… mais de véritables co-auteurs de nos émotions, de notre attention, de notre bien-être ?
Cette rencontre-conférence réunira trois éclairages issus de l’architecture, des neurosciences et de la psychiatrie pour explorer comment la lumière, les volumes, les matériaux, les flux et les ambiances modifient profondément notre rapport au monde, notre stress, notre concentration, notre récupération… mais aussi nos interactions sociales et notre sentiment de sécurité.
À travers des exemples concrets et des données scientifiques, cette rencontre invite à repenser l’acte de concevoir les espaces comme un acte de soin, de lien et d’impact psychique pour le bien-être de toutes et tous.
Objectifs de Développement Durable
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