
Repenser les territoires avec le biorégionalisme
Résumé
Cette rencontre-conférence a débuté avec l’exercice des chaises révélantes, outil d’intelligence collective, qui a permis d’aborder la question des grandes composantes d’une Région avec un angle d’approche inattendu. Les éléments partagés par les participants sont : les habitants, les entreprises, l’administration publique, le réseaux hydrologique, l’agriculture, l’histoire, la géologie, l’air, le climat, les associations, les limites géographiques.
Selon Ludovic Duhem, artiste, philosophe et enseignant, une Biorégion n'est pas la région du bio, ni une division administrative comme en France ou en Belgique. Elle est née bien avant son apparition officielle, trouvant des échos dans l'histoire humaine, notamment dans le rapport ambivalent aux fleuves à travers les civilisations. La notion cherche à définir les régions sur la base d'une homogénéité géologique, climatique, biologique et culturelle, sans distinguer l'humain de la nature. L'idée est que l'identité d'une communauté humaine est intrinsèquement liée aux caractéristiques de son territoire.
Une définition clé donnée est qu'une Biorégion est un ensemble cohérent, dynamique et relationnel formé par un climat, des espèces, des types de sols, des installations humaines et des pratiques culturelles, le plus souvent réunis au sein d'un même bassin versant. Les limites d'une Biorégion ne sont pas définies par l'État-nation, et sa gouvernance n'est pas prioritairement celle des élus et de l'administration. Elle est plutôt celle des communautés humaines couplées au milieu naturel pour entretenir à long terme les conditions d'habitation de la Terre. L'échelle peut varier, parfois descendant au sous-bassin versant selon la taille des fleuves.
Le mouvement Biorégionaliste a été influencé par des figures ayant résisté à l'industrialisation et cherchant à renouer avec la nature, tout en étant proches d'enjeux sociétaux (libération, désobéissance, anarchisme). Parmi elles, David Henry Thoreau, Élisée Reclus, Patrick Geddes (qui intégrait activités humaines et nature), Aldo Leopold (éthique de la terre), Lewis Mumford (singularité des régions), et Murray Bookchin (écosocialisme). Les Biorégionalistes sont très attachés à articuler les dimensions biogéographiques et culturelles, considérant les enjeux sociaux inséparables des enjeux écologiques, et prenant en compte les populations opprimées et autochtones pour tendre vers des changements profonds.
L'une des notions fondamentales est de "réhabiter" (reinhabiting) le territoire. Cela signifie rétablir le lien au lieu (living in place), agir là où l'on vit. Il ne s'agit pas seulement d'être présent physiquement, mais de comprendre le lieu spécifique où l'on vit : ses sols, ses vents, les liens entre espèces, les cycles des saisons, les limites de ses ressources, ses fragilités, et les cultures des populations natives. Comment vivre en fonction du climat et des matériaux disponibles et des animaux vivants sur place ?
Ludovic Duhem souligne qu’un mode de vie Biorégionale légitimise la défense d’un territoire et non de son occupation.
Vincent Laviolette, Catalyseur de Changement et Transition Territoriale au sein de TerraLab a ensuite expliqué pourquoi Terralab s'intéresse au Biorégionalisme. Il offre une approche systémique de la relocalisation et de la réhabilitation des territoires. L'approche vise un changement d'échelle pour les projets existants, permettant de sortir des "suspects habituels" et d'englober plus d'acteurs. Cela implique de transcender les paradigmes plutôt que de rester dans l'opposition stérile. Le Biorégionalisme, loin d'être un repli sur soi, est perçu comme une manière de redéfinir son identité territoriale en reconnaissant sa contribution à un tout plus grand et sa dépendance à celui-ci. Cette approche est en écho avec la permaculture, dont les fondateurs avaient une visée Biorégionale. C'est une manière de reconsidérer le territoire comme un sujet vivant, dont on fait partie. Cela pourrait inspirer la politique d'aménagement du territoire, notamment en ramenant le pouvoir de décision aux localités.
En Wallonie, les sources indiquent qu'il n'existe pas d'initiatives qui se revendiquent explicitement Biorégionales, mais que de nombreuses dynamiques pourraient potentiellement s'y inscrire. Différentes grilles de lecture existent pour découper le territoire au-delà des limites administratives : zones biogéographiques, zones agrogéographiques, ensembles paysagers, aires linguistiques, bassins versants. La tension entre les limites administratives et la cohérence Biorégionale est une réalité. L'arrondissement de Verviers, territoire d'action de Terralab, est vu comme potentiellement composé de trois sous-Biorégions liées à deux bassins versants (La Vesdre et l’Amblève). Des dynamiques locales (GAL fagnes Haute-Amblève, projet de la vallée de la Vesdre) montrent des approches qui résonnent avec le Biorégionalisme, comme le scénario "ce que veut la rivière" qui tient compte du territoire vivant, ou la volonté de construire l'identité territoriale.
Des exemples inspirants sont cités :
- Waterford en Irlande : un territoire administratif qui a travaillé sur les systèmes alimentaires résilients en intégrant dès le départ une approche Biorégionale, visant la régénération du paysage avec la participation d'une grande partie de la population. Ils cherchent à inspirer, redonner joie et confiance.
- La Biovallée dans la Drôme en France : née d'une dynamique citoyenne de "marginaux", elle s'est rapidement développée en un projet territorial reconnu, travaillant à la régénération du paysage et intégrant la cohabitation avec des acteurs non humains (comme le castor). Elle a réussi à mobiliser d'importants financements privés et publics, démontrant la force du récit pour engager les acteurs.
Concernant les défis et la manière de mettre en œuvre le Biorégionalisme :
- Il doit être localement déterminé, s'adaptant à la réalité spécifique du territoire.
- Des enjeux pragmatiques, comme la gestion de la pollution, obligent à collaborer par-delà les frontières administratives.
- C’est une démarche qui peut s'opposer aux pensées extrémistes et isolationnistes en se fondant sur le prendre soin du territoire, répondant au sentiment de délaissement, en cherchant à construire de nouveaux récits collectifs pour un avenir partagé, tout en étant conscient des défis structurels et historiques.
- Pour commencer, il faut partir de la réalité locale, identifier les potentiels, acquis, mais aussi les conflits. Divers points d'entrée sont possibles : enquêtes citoyennes, implication des élus, cartographies, projets préexistants, événements culturels ou festifs liés au lieu (comme une fête sur une rivière). Il est important de recenser ce qui existe déjà et de s'appuyer dessus.
- La démarche doit viser l'autonomisation du projet, ne dépendant pas d'un leadership unique mais d'un mouvement populaire large, transmis de personne à personne et de génération en génération.
- Une approche axée sur le soin et l'attachement au territoire peut favoriser la collaboration et la mobilisation de fonds divers, y compris privés.
Annonce
Face aux défis actuels, le biorégionalisme offre une perspective novatrice et prometteuse pour repenser notre relation au territoire. Cette approche, initiée dans les années 70 en Californie, se veut plus durable et respectueuse des milieux. Elle nous invite à reconsidérer notre place et notre relation à notre territoire de vie, en repensant les territoires en fonction de leurs écosystèmes. Le biorégionalisme cherche à établir un équilibre dynamique entre les caractéristiques géographiques, biologiques et anthropologiques, tout en valorisant les interactions à l'échelle locale.
Cette approche longtemps méconnue et de plus en plus mobilisée, privilégie les frontières naturelles au détriment des frontières administratives. Elle requestionne la place de l'être humain dans l'écosystème et les liens entre tous les vivants, et redéfinit les projets de territoire en partant de leur potentiel spécifique. De plus, elle soutient et amplifie la relocalisation de l'économie, favorisant ainsi une plus grande autonomie sociale et une gouvernance décentralisée.
Cette conférence explorera comment le biorégionalisme peut inspirer un modèle de société plus durable et respectueux de l'environnement, encourager l'expérimentation de nouvelles voies pour construire un avenir résilient et harmonieux, et favoriser une autre façon de faire société au-delà des finalités et des besoins humains.
Objectifs de Développement Durable
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