Orateur(s)
Coralie Muylaert Doctorante (ULiège) & Collaboratrice de Recherche (ICHEC)
Sandrine Counson Gestionnaire (Slow31) & Professeur en Histoire du Vêtement (HELMo)
Francesco Salamone Responsable Développement & Partenariats (Recytex Europe)

Seconde main, seconde vie ... Une solution durable ?

    Résumé

    Cette conférence était l’occasion d’échanger autour des multiples enjeux de la seconde main, avec un focus particulier sur le vêtement.

    Sandrine Counson, gestionnaire de l’asbl Slow31 et professeur en Histoire du Vêtement (HELMo), a d’abord rappelé l’historique de la seconde main, concept qui a toujours existé. Le métier de fripier, alors ambulant, apparait au 13e siècle. Le fripier répare, avant de revendre, des vêtements ayant appartenu à des membres de l’aristocratie. Depuis la révolution industrielle, la production de vêtements n’a cessé d’augmenter jusqu’à passer au « prêt à jeter » (plus de réparation, le vêtement a perdu sa valeur).

    Coralie Muylaert, doctorante (ULiège) et collaboratrice de Recherche (ICHEC), nous a ensuite expliqué ce qu’est l’économie de la fonctionnalité (qui utilise le principe de mutualisation et celui de la bibliothèque). Pendant 4 ans, elle a travaillé sur le projet Brufonctionnel, qui étudiait les freins et les leviers de l’économie de la fonctionnalité sur Bruxelles, d’abord du côté de l’offreur puis du côté du consommateur. Suite à ce projet, Coralie Muylaert a développé une thèse sur le changement des pratiques de consommation des vêtements, dans laquelle elle relève l’influence sociétale et psychologique exercée sur les consommateurs. Pour elle, l’économie de la fonctionnalité permet de répondre d’une autre manière à nos besoins et vise une multiplication des usages, tout comme le fait la seconde main, en (ré)utilisant un vêtement le plus possible et en redonnant à ce dernier ses lettres de noblesse.

    Francesco Salamone, Responsable Développement & Partenariats (Recytex Europe), a abordé le rôle de Recytex dans la seconde main. Cette entreprise, basée à Seraing mais aussi en France, traite 25 à 35 tonnes de vêtements par jour et emploie 200 personnes, dont une grande partie en réinsertion sociale (60% du personnel à Seraing). Son personnel trie les textiles reçus destinés au réemploi en plus de 200 catégories, manuellement, sur un tapis roulant. Sur l’ensemble de la chaîne de valeur, 100% des produits sont revalorisés : 50% des vêtements sont réemployés (10% en Belgique via leur chaîne de 18 magasins de friperie, Jipex, et 40% envoyés à l’exportation), 40 % sont recyclés (effilochage, transformation en matières premières pour l’isolation…) et 10 % de « déchets » sont transformés en combustible solide de récupération (utilisé dans les hauts-fourneaux du Nord de la France mais cette dernière option coûte à l’entreprise). Recytex valorise avant tout le réemploi et développe un centre de R&D en France afin d’offrir, en plus, un service de tri automatisé par matières. L’entreprise serrésienne souhaite s’inscrire dans le tissu local. D’ailleurs, Francesco Salamone a précisé que seconde main ne veut pas forcément dire local puisqu’il existe un gros marché venant de l’exportation (USA, Pakistan…).

    Sandrine Counson a ensuite raconté l’histoire de la création de Slow31, en 2016, suite à une prise de conscience avec Marie Lovenberg, costumière au Théâtre de Liège. Elles ont, alors, souhaité proposer une plateforme d’alternatives à la fast fashion et ont développé un système de garde-robe partagée. Leur service utilise un système de points et une grille d’évaluation du vêtement sur base de différents critères, qualitatif notamment.

    Slow31 rassemble environ 300 troqueurs et propose une alternative meilleure pour la planète, l’humain et le portefeuille. Sandrine Counson reconnait que les projets d’économie de la fonctionnalité, comme les garde-robes partagées, connaissent parfois un essoufflement mais la force de Slow31 est d’être une asbl avec une communauté bénévole forte. L’asbl Slow31 propose également des ateliers « Repair papote », ainsi que des ateliers de couture et de savoir-faire (en collaboration avec Wabi-Sabi Namur), ainsi que des ateliers de visual mending ou ravaudage esthétique. Des pratiques qui sont aujourd’hui revendiquées et vues comme un terrain de créativité.

    Les orateurs se sont ensuite penchés sur les raisons du succès actuel de la seconde main. Pour Coralie Muylaert, le Covid a été l’occasion de tester des alternatives et a également engendré une plus forte conscientisation chez le consommateur. Mais même si ce dernier a conscience du très fort impact environnemental et social de sa consommation de vêtements, il lui est difficile de traduire cette conscientisation en acte réel car la tentation est partout.

    La démocratisation de la seconde main s’est surtout faite via les plateformes en ligne... Malheureusement, ce ne sont pas les petites boutiques qui profitent de l’effet de mode de la 2ème main. Or, la seconde main durable est locale. On se trouve aujourd’hui confronté à deux extrêmes car les deux plateformes les plus visitées sont Shein et Vinted. Cette dernière plateforme est à utiliser en dernier recours car assez chronophage et énergivore, et son activité se fait au détriment d’organismes comme Recytex ou Terre asbl qui, elles, font de la réinsertion sociale.

    Francesco Salamone a partagé les impacts de l’évolution de la consommation/production de vêtements sur les activités de Recytex. Il observe un appauvrissement de la qualité des matières (à cause de la fast fashion) et son entreprise récupère désormais plutôt des vêtements de 3e ou 4e main. Le point positif est que, comparé à il y a 30 ans quand la seconde main était très mal vue (considérée uniquement pour le public précaire), une autre population, plus conscientisée (par rapport au geste d’achat, avec certaines valeurs) ou sensible à l’aspect « mode » de la seconde main (chiner pour se différencier) vient élargir le public du réemploi des textiles.

    Les orateurs ont ensuite partagé leurs idées pour une consommation textile plus durable. Coralie Muylaert conseille de trouver pour chaque occasion l’alternative qui nous correspond et de multiplier la manière dont on se procure nos vêtements afin de répondre au mieux à nos besoins. Attention également à repenser notre consommation car la seconde main peut aussi être un bon moyen de surconsommer.

    D’autres idées ont également été partagées : mettre plus d’argent dans les basiques, apprendre à lire une étiquette, s’informer… mais aussi redonner du respect au vêtement (il existe tout un savoir-faire textile qu’on ne voit plus), changer de regard sur sa garde-robe, redonner une histoire, qu’on aura envie de transmettre à nos vêtements. Des outils existent pour nous aider à changer notre comportement tel que la pyramide de la slow fashion ou encore le concept du « cost per wear » (le coût d’un vêtement divisé par le nombre de fois qu’on l’a porté).

    Coralie Muylaert identifie 3 axes pour favoriser ce changement : avoir accès aux meilleures offres possibles, mettre des stratégies en place (pour se forcer à changer et hacker sa propre consommation), déconstruire les constructions psycho-sociales autour du vêtement (par exemple que s’offrir un vêtement rend heureux).

    Pour conclure les échanges, les orateurs se sont interrogés sur la manière d’agir à l’échelle du territoire. Pour Sandrine Counson, il faut une cohérence au niveau européen, des lois … et exiger de la transparence par rapport à la fabrication des vêtements (attention au greenwashing !). Francesco Salamone a expliqué comment fonctionne le système de la REP (la responsabilité élargie des producteurs) textile en France qui a mis en place un système de taxe pour les metteurs sur le marché, avec une redistribution vers la filière textile, et un accent sur l’éco-conception et sur la réparation. La REP textile est actuellement en réflexion en Belgique. Coralie Muylaert appelle à un changement de consommation plus global et à élargir le principe des bibliothèques (qui sont déjà locales, de quartier) pour y trouver des vêtements, ustensiles, loisirs...

    Aujourd’hui, nous chinons plus en ligne que sur les brocantes… Applis de seconde main, réseaux sociaux et mêmes grandes enseignes se saisissent du phénomène.

    Diminution de l’empreinte écologique, questions éthiques ou nouvelle opportunité de rentabilité ? Quels regards réflexifs porter sur les initiatives concrètes qui proposent une seconde vie aux vêtements ?

    Cette conférence est organisée en partenariat avec La Cité Miroir et la MSH et fait partie du cycle de conférences : "Économies alternatives à l'échelle du territoire".

    > Inscriptions uniquement via ce lien.

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