Après nos lettres thématiques consacrées à la résilience et à la métamorphose, toutes deux axées sur le changement et des lendemains meilleurs, nous avons souhaité nous intéresser à la notion de confiance.

Dans le cadre de notre conférence de clôture de saison ce 25 juin, en compagnie, entre autres, de Luc de Brabandere (philosophe en entreprise), nous questionnerons d'ailleurs la confiance que nous pouvons avoir en notre créativité pour permettre, demain, un renouveau. « Notre système terrestre et économique a besoin d’être réinventé », nous dit-il par exemple.

Mais dans cette présente lettre, c’est bien la notion de confiance que nous abordons sous les regards croisés de différentes approches. Quel lien pouvons-nous établir entre la confiance en soi, la confiance en l'avenir et la confiance en ses collaborateurs ? Sans doute que la confiance peut être assimilée à une fondation solide pour tout développement futur, soit-il personnel ou collectif …

Découvrez ci-dessous les contributions des 6 personnalités que nous avons réunies, ce mois-ci, autour de ce thème.

Nous vous souhaitons une bonne lecture !

Luc de Brabandere

Luc de Brabandere

Philosophe d’entreprise

Fellow du Boston Consulting Group, Luc de Brabandere est ingénieur en mathématiques appliquées et licencié en philosophie (UCL). Il enseigne dans différentes Universités et collabore régulièrement avec de grandes entreprises, dont il assiste les équipes de direction, pour les aider à imaginer des scénarios de rupture ou clarifier leur vision. Il a co-fondé Cartoonbase, une agence de communication où artistes et consultants travaillent ensemble. Outre ses interventions ou ses articles, il est l’auteur ou le coauteur de nombreux ouvrages.

Véritable passionné de la pensée critique, il met son rôle de philosophe au service des entreprises pour les aider à penser le changement. Nous lui avons demandé comment relier les concepts de créativité et d’innovation avec une vision confiante en l’avenir.

Créativité et Innovation : les faux synonymes !

S’il est vrai qu’un regard distrait peut assimiler les deux termes dans un vœu pieux qui ne dérangera personne, un regard attentif est indispensable, par contre, pour redonner à chacun de ces concepts toute la force qu’ils contiennent.

Une entreprise qui veut innover doit avant tout permettre la circulation des idées. Du jeune stagiaire au contremaître expérimenté, du commercial au chercheur, l’imagination de l’un s’appuie souvent sur l’étonnement de l’autre.

Mais pour continuer dans la métaphore hydraulique, les tuyauteries à suggestions ne suffisent pas toujours. Parfois le débit chute, le flux d’idées tarit. C’est alors que les techniques de créativité interviennent. Elles jouent le rôle de pompe, elles garantissent la pression de l’imagination collective.

En résumé, est innovante toute entreprise capable de changer les choses, et est créatif tout individu capable de changer sa manière de voir les choses. Ce sont deux changements bien différents, car l’un est possible sans l’autre, l’autre est possible sans l’un. Et il est donc utile de rappeler que Copernic, un des grands créatifs de l’Histoire, n’a en rien changé le système solaire !

Mais aujourd’hui, c’est le système terrestre et économique qui a besoin d’être réinventé, et je fais confiance en notre créativité !

Pour aller plus loin :

Inscrivez-vous à notre conférence de clôture de saison : « La créativité comme ressource pour construire un Nouveau » avec Luc de Brabandere, Pascale Delcomminette (CEO, AWEX et WBI) et Fabrice Bureau (Vice-Recteur à la Recherche, ULiège). Inscription gratuite mais obligatoire.

Anne-Sophie Nyssen

Vice-rectrice en charge de l'Enseignement et au Bien-être
Professeur ordinaire, Faculté de Psychologie, Logopédie et Sciences de l’Education (ULiège)

Anne-Sophie Nyssen est professeur de psychologie du travail à la Faculté de Psychologie, Logopédie et Sciences de l’Education de l’Université de Liège. Elle a consacré sa thèse de doctorat sur « l’erreur humaine ». Dans ce cadre, elle s’est intéressée aux problèmes de communication et de stress à l’origine des accidents au travail et de la souffrance au travail.

Elle est, depuis 2018, Vice-Rectrice à l’Enseignement et au Bien-être. Nous lui avons demandé ce qu’évoque pour elle, la notion de « confiance ».

Anne-Sophie Nyssen

 

La confiance génère la confiance

La confiance, c’est l’acceptation de dépendre de quelqu'un, ou de quelque chose, sans vérifier qu’on pouvait rationnellement l’accepter. La confiance peut être absolue, aveugle, relative, mesurée, raisonnée. Elle se donne, peut se construire lentement, et peut se détruire en un instant. Elle est liée à la confiance en soi-même : j’ai suffisamment confiance en moi pour faire confiance. Elle est une prise de risque : je risque la déception, voire la trahison. Elle est une nécessité absolue : mes ressources sont limitées, le monde est infini, je ne peux pas tout connaître, tout surveiller, tout contrôler. Le bon réglage de la confiance est une condition fondamentale de la survie : l’excès de confiance est dangereux ; le manque de confiance, l’obsession, paralysent.

Mais dans notre monde qui se complexifie sans cesse, la place de la confiance se complexifie également. Les lois, les règles, les normes, les procédures envahissent peu à peu notre espace social et nous aident à prédire les comportements des autres sans forcément passer par la longue construction empirique de la confiance. Je ne connais pas ce médecin, mais je postule qu’il me soignera correctement, car il est diplômé de la Faculté de médecine. À condition que j’aie confiance dans les diplômes délivrés par cette Université …

Et nous y voilà : le monde de l’enseignement n’échappe évidemment pas à l’omniprésente nécessité de la confiance. Les décrets, les règlements, les procédures... se succèdent. Cette « normalisation » des relations entre les enseignant·e·s et les étudiant·e·s, entre les enseignant·e·s et l’administration, etc. est bien sûr nécessaire. Mais ce serait une grave illusion de penser qu’elle peut remplacer la confiance. Une grave erreur de vouloir résoudre chaque difficulté par une nouvelle règle, ou un procès. Une idée dévastatrice de penser que l’honnêteté, l’éthique, la morale – piliers de la confiance – peuvent céder le pas à la conformité, voire au « pas vu, pas pris ».

En psychologie cognitive, on appelle « théorie de l’esprit » la capacité d’inférer des états mentaux, affectifs ou cognitifs, chez les autres ou chez soi. Cette aptitude cognitive nous permet de prédire et donner du sens au comportement des autres, sur base de leurs attitudes et de leur connaissance supposée de la situation.  Elle est le fondement des interactions sociales. Faire confiance, c’est avoir cette capacité, cette « théorie de l’esprit » bien calibrée, qui permet de faire de bonnes prédictions, et de s’en servir. Et quand on s’en sert, la confiance génère la confiance.

Anne-Marie Etienne & Céline Stassart

Anne-Marie Etienne & Céline Stassart

Respectivement Professeure et Chercheuse en psychologie de la santé à la Faculté de Psychologie, Logopédie et Sciences de l’Éducation (FPLSE, ULiège)

Leurs travaux de recherche (chez l’adulte et l’enfant) portent sur la qualité de vie dans les maladies somatiques, les processus décisionnels en jeu lors de l’implémentation de comportements de santé, le rôle de deux mécanismes psychologiques, à savoir la sensibilité à l’anxiété et l’intolérance à l’incertitude, dans le trouble anxieux chez des usagers en santé et, enfin, la réalité virtuelle au service de la santé. Toutes les deux sont également psychologues cliniciennes de la santé, formées aux thérapies comportementales et cognitives.

Nous leur avons demandé comment construire sa confiance en l’avenir dans la situation actuelle et à l’aune des ressorts psychologiques.

Construire sa confiance en l’Avenir

La confiance en soi peut être décrite comme « une prédiction réaliste et ponctuelle qu’une personne a les ressources nécessaires pour faire face à un genre particulier de situation » (Jean Garneau, 2002). C’est ce qu'Albert Bandura (1986) appelle le sentiment d’auto-efficacité et qu’il décrit dans sa théorie socio-cognitive. En d’autres mots, il s’agit de la confiance qu’une personne a en sa capacité à mettre en place un comportement ou en sa capacité à mobiliser les ressources nécessaires pour maîtriser une situation.

Face à cette crise sanitaire mondiale, nous n’avons pas tous les mêmes ressources. Mais l’intérêt de la théorie de Bandura est qu’elle considère l’être humain comme acteur de sa propre vie, capable d’anticiper et d’ajuster ses actes. Le sentiment d’auto-efficacité n’est pas considéré comme figé et peut évoluer dans le temps. Chacun devra donc être bienveillant avec soi-même et construire, petit à petit, sa confiance en soi et en l’avenir, en d’autres termes, son sentiment d’efficacité dans l’ajustement à cette situation.

Cette confiance pourra se créer à travers plusieurs voies : en expérimentant soi-même des succès dans la mise en place de nouvelles habitudes, ou encore en observant des proches le faire ou du moins des personnes auxquelles on peut s’identifier. Une dernière source est l’état émotionnel ; une émotion négative telle que l’anxiété peut amener la personne à perdre confiance en elle, en les autres et en l’avenir. Dans la situation actuelle, ressentir de la peur et des inquiétudes est tout à fait légitime. Mais l’important est d’essayer de retrouver un peu de contrôle en s’exposant progressivement à cette nouvelle réalité.

Pour aller plus loin :

Découvrez le MOOC Fun ULiège « Agir pour sa santé », dont une nouvelle session débutera aux alentours du mois d’octobre 2020.
En savoir plus sur le service de Consultations réalité virtuelle à la Clinique Psychologique et Logopédie de l'ULiège.

Evelyne Faniel

Conférencière – coach et formatrice
Co-fondatrice de OSE et de LA MAISON

Evelyne Faniel débute sa carrière à la CCI de Verviers. Elle y découvre le monde de l’entreprise et confirme sa passion pour l’humain. En 2010, elle rejoint le rang de ceux qui OSENT et crée sa propre entreprise, avec son ancienne collègue et amie Claude François. Confianceensoi.be (aujourd’hui rebaptisé OSE) voit le jour et propose des services de formation et de coaching. En 2019, les deux complices lancent un nouveau projet dans une magnifique bâtisse située sur les hauteurs de Verviers. LA MAISON est un espace de coaching et de formation pluridisciplinaire pour accompagner les personnes et entreprises à chaque étape importante de leur développement.

Elle nous partage son approche de la confiance en soi …

Evelyne Faniel

 

De la confiance en soi … à l’amour de soi !

« Je viens vous voir parce que je n’ai pas confiance en moi ! ». Cette phrase, nous l’avons entendue des centaines de fois. Que veut-elle dire, au juste ? N’est-elle pas le reflet de notre vision binaire – et donc forcément réductrice – de ce que nous sommes ou ne sommes pas ? Cela voudrait-il dire qu’il existe deux catégories de personnes sur cette planète : celles qui ont confiance en elles et les autres ?

Si vous êtes du côté de ceux qui prétendent ne pas avoir confiance en eux, par exemple, est-ce applicable à tous les domaines de votre vie, sans exception ? Ne serait-il pas plus juste de dire : « Je n’ai pas confiance en mes talents/compétences/capacités dans ce domaine spécifique » ? Je pourrais, par exemple, avoir pleinement confiance en ma capacité à amener ma voiture d’un point A à un point B, ou à animer une formation sur un thème qui m’anime, et beaucoup moins dans ma capacité à réussir un plat élaboré sans aucune recette !

À la notion de confiance en soi – qui entretient l’idée qu’il y a un problème avec nous, quelque chose que nous devons dépasser ou changer – je préfère celle d’amour de soi. Ce mot peut sembler excessif, impudique, voire désuet, et pourtant, c’est bien de cela dont il s’agit. La couche de surface « Je n’ai pas confiance en moi » en cache, en effet, une autre bien plus profonde : « Je ne m’aime pas quand je me comporte comme ceci ou comme cela, quand je suis… ».

Cela vous surprend ? Ne nous sommes-nous pas pourtant, pour la plupart, construits sur la base d’injonctions telles que : « Tu devrais être plus… », « Sois un peu moins… », « Sois gentil ! », « Tu m’as déçu », etc.  Autant de paroles qui ont entretenu l’idée de ce que nous devrions être/faire/changer pour être aimés. Et qui ont fragilisé les fondations de la confiance en la personne que nous sommes.  

D’où la nécessité, voire l’urgence – pour renforcer notre confiance et notre sécurité intérieure d’adulte – de rassurer l’enfant qui sommeille en nous sur la valeur de qui il est. De lui dire ce qu’il aurait eu besoin d’entendre :   «Tu as le droit de faire des erreurs », « Je t’aime tel que tu es », « Tu es la personne qui sais le mieux ce qui est bon pour toi ».

Tout cela vous paraît simple, voire simpliste ? Et pourquoi cela devrait-il être compliqué ? 😉

Pour ALLER PLUS LOIN :

Plus d’info sur OSE et LA MAISON
Evelyne Faniel est également intervenue dans le cadre du Hub créatif de Verviers, le 19 mai dernier, sur le thème : « Votre situation financière est incertaine, comment rester serein ? ». Regardez le replay !

Fabrice De Zanet

Fabrice De Zanet

Maître de conférences à HEC-ULiège, Data Analyst (Analytics4HR), HR Specialist

Maître de conférences à HEC-ULiège, Fabrice De Zanet s’intéresse aux défis en termes de leadership, de confiance et de coopération qui se posent aux organisations modernes évoluant dans un environnement hautement dynamique et concurrentiel. Fabrice De Zanet est également associé fondateur d’Analytics 4 HR, une spin-off de l’ULiège et de l’UCL, dont la mission consiste à accompagner les entreprises à fonder leur stratégie et décisions RH sur des éléments objectifs (evidence-based management) grâce notamment à une exploitation plus proactive des données RH.

Il nous livre son regard sur la confiance, en tant que levier de performance durable au sein des entreprises.

Un environnement de travail basé sur la confiance : bien-être et performance

Toute organisation, parce qu’elle veut s’assurer que ses employés agissent dans son intérêt, utilise des stratégies de gestion des performances pouvant être décrites selon un continuum allant du contrôle à la confiance. Dans tous les cas, il s’agit d’aligner les comportements des employés avec les objectifs de l’organisation. Mais quelle stratégie est la plus efficace ? Une organisation doit-elle plutôt recourir au contrôle via des procédures de travail précises ou encore une ligne hiérarchique forte ? Ou alors, est-il plus efficace de miser sur la confiance, la responsabilisation et les capacités d’autodiscipline des employés ?

La littérature scientifique nous incite à penser que la confiance n’est pas un pari aussi risqué qu’il n’y paraît. Parce que les organisations évoluent dans un environnement de plus en plus volatile, incertain et ambigu, il est devenu impossible de définir précisément les comportements attendus de la part des employés. Les organisations modernes ont donc besoin de collaborateurs qui se sentent responsables d’atteindre les missions de leur organisation et font preuve de proactivité. Or, les stratégies de gestion des performances de type « command-and-control », basées sur la prescription et la surveillance, génèrent surtout de l’obéissance et de la déresponsabilisation.

Ainsi, McEvily et al. (2003) suggèrent d’envisager la confiance comme un principe organisateur en vue de répondre aux problématiques d’incertitude, d’interdépendance et de coopération des organisations. Par ailleurs, diverses études tendent à montrer que la confiance contribue au bien-être des membres d’une organisation. Liu et al. (2010) indiquent que les employés qui font davantage confiance à leur supérieur se sentent davantage en sécurité et rapportent moins de symptômes de stress. Helliwell et Huang (2011), se basant sur des enquêtes réalisées au Canada et aux États-Unis, rapportent que la confiance est un déterminant majeur de la satisfaction générale (life satisfaction). Ainsi, une culture et un environnement de travail basé sur la confiance semblent davantage en mesure de répondre aux besoins socio-émotionnels des employés, et donc de contribuer au bien-être des ces derniers.

La confiance des employés envers leur organisation est donc un levier de performance durable, car elle constitue à la fois un mécanisme motivationnel efficace, et souvent sous-estimé, et contribue au bien-être des collaborateurs.

Luc Demortier

Directeur Pôle Bâtiments au Bureau Greisch
Administrateur délégué, Bureau d’études Greisch
Collaborateur scientifique de l’Université de Liège

En écho aux propos sur la confiance en tant que levier en entreprise, nous l’avons interrogé pour illustrer par un cas concret ; celui d'une entreprise pour laquelle la confiance est depuis toujours une des valeurs principales.

Luc Demortier

 

La confiance comme valeur motrice de l’entreprise

« La direction est là parce qu’il en faut une », nous partage d’emblée Luc Demortier, du groupe Greisch, où le mode de fonctionnement se base sur le concept de management horizontal. L’entreprise, qui est avant tout organisée pour l’épanouissement du personnel, accorde une grande importance à la confiance : celle de la direction envers les collaborateurs, mais aussi, et peut-être principalement, de ses collaborateurs entre eux. Les objectifs individuels, par exemple, sont bannis au profit d’objectifs communs, ce qui renforce cette confiance et éloigne toute forme de concurrence.

Concrètement, cela se traduit par différents points : pas de pointage, horaires flexibles, absence de hiérarchie « visible » ou de règlementation au sens strict…

Et Luc Demortier le confirme : l’efficience et le confort au travail s’en voient renforcés, tout comme le bien-être du personnel en général. Chacun adopte la place qu’il souhaite et qu’il est en mesure de prendre, sans nuire au reste de l’équipe.

Ces bases et ce principe de confiance se sont renforcés durant la période de confinement, l’entreprise permettant à l’ensemble de son personnel qui se retrouvait en télétravail (95%), par exemple, d’adapter son temps de travail en fonction des contraintes familiales. Pour les membres de la direction, il s’agissait principalement d’assurer une présence rassurante au bureau, faciliter la transition en télétravail, soutenir le personnel via des messages réguliers et la désignation de personnes à l’écoute des collaborateurs en difficulté.

Et après, justement ? Dans l’optique « de continuer à évoluer », un groupe de réflexion analyse à présent la qualité de vie développée durant cette période de télétravail et réfléchit aux possibilités pour favoriser, à long terme, le bien-être au travail et renforcer, d’autant plus, ce climat de confiance.