
Le potentiel des plantes pour le développement de nouveaux médicaments : entre tradition et innovation
Résumé
La conférence abordait le sujet de la pharmacognosie et l'importance de la nature, notamment des plantes, dans la découverte de nouveaux médicaments. La pharmacognosie est la science qui s'intéresse aux matières premières d'origine biologique (végétal, animal, champignons, micro-organismes, minéral) et aux substances purifiées d'origine naturelle ayant des potentialités médicamenteuses. C'est une science multidisciplinaire impliquant la botanique, la chimie des plantes et leurs effets biologiques.
Olivia Jansen, Maître de Conférences et Assistante en Pharmacognosie (Faculté de Médecine, CIRM, ULiège), a d’abord introduit la thématique en précisant que la nature reste un important réservoir à explorer pour de nouveaux médicaments. Selon une revue de Newman & Cragg en 2020, 50% des médicaments commercialisés sont d'origine naturelle ou en sont inspirés. Ce chiffre monte à environ 65% pour les petites molécules. Historiquement, les hommes ont dépendu presque uniquement des plantes pour se soigner jusqu'au 19ème siècle, moment où l'isolement et la synthèse de molécules actives purifiées ont créé une rupture entre la médecine traditionnelle et la médecine moderne.
Moins de 15% des espèces de plantes supérieures avaient été étudiées pharmacologiquement ou chimiquement il y a une dizaine d'années, et la proportion d'organismes non étudiés est encore plus grande pour d'autres règnes (insectes, bactéries, champignons, organismes marins). Les plantes sont des "usines naturelles" synthétisant des centaines de composés chimiques (métabolites), notamment des métabolites secondaires aux fonctions variées (défense, attraction). La diversité structurale des substances naturelles est impressionnante et n'est pas toujours reproductible par synthèse, permettant la découverte de nouveaux pharmacophores.
Pour sélectionner les espèces végétales à étudier, différentes stratégies existent : la stratégie aléatoire (fastidieuse mais potentiellement novatrice), la chimiotaxonomie (basée sur la classification botanique et la composition chimique), et la démarche ethnopharmacologique.
L'ethnopharmacologie est une exploration interdisciplinaire des matières végétales, animales, minérales et des savoirs/pratiques s’y rattachant que les cultures locales utilisent à des fins thérapeutiques. C'est un guide précieux pour l'étude des plantes d'intérêt pharmacologique. L'OMS estime qu'entre 40 et 80% de la population mondiale se soigne encore avec des plantes aujourd'hui. Il est donc urgent de sauvegarder les savoirs traditionnels et la biodiversité, menacés par les changements climatiques et la déstructuration des sociétés traditionnelles. Des études montrent l'efficacité de l'approche ethnopharmacologique : des programmes de screening ont montré des taux d'extraits actifs plus élevés pour les plantes sélectionnées sur base traditionnelle.
Une fois les plantes sélectionnées, l'identification des composés bioactifs en laboratoire peut se faire par screening haut débit, fractionnement bioguidé (isolement basé sur l'activité biologique), ou des techniques modernes comme la métabolomique et les réseaux moléculaires. Les recherches en pharmacognosie peuvent mener à la découverte de nouvelles molécules/pharmacophores pour des médicaments conventionnels ou à l'acquisition de données scientifiques pour une phytothérapie rationnelle validée scientifiquement. Cela contribue à renforcer l'arsenal thérapeutique, à préserver les savoirs et la biodiversité, et potentiellement à des pratiques thérapeutiques plus écoresponsables.
La phytothérapie se définit par l'utilisation thérapeutique des plantes, sous différentes formes (tisanes, poudres, extraits). Contrairement aux médicaments modernes, les remèdes de phytothérapie sont composés de constituants multiples, ce qui offre un potentiel lié à leur complexité, comme des effets pharmacologiques multicibles et la mise en évidence de synergies entre composés. Cela les rend intéressants, notamment face aux problèmes de résistance.
Allison Ledoux, Professeure Associée en Pharmacognosie (Faculté de Médecine, CIRM, ULiège), a ensuite abordé le sujet de la phytothérapie et des maladies infectieuses. Elle a rappelé l'ampleur des crises sanitaires causées par les maladies infectieuses au fil des siècles (pestes, variole, grippe espagnole, VIH, COVID-19). Ces pandémies montrent qu'il est illusoire de penser qu'elles appartiennent au passé. Le problème actuel majeur est la résistance croissante des pathogènes aux traitements, nécessitant la découverte de nouvelles molécules.
La malaria est un exemple emblématique de l'apport des plantes. Le premier traitement important, la Quinine, a été isolé de l'écorce de Cinchona, utilisée traditionnellement contre la fièvre. L'isolement de la molécule a mené à des dérivés semi-synthétiques comme la chloroquine. Lors de la guerre du Vietnam, face à la résistance à la chloroquine, la recherche en Chine a permis à la chercheuse en pharmacie, Youyou Tu, de découvrir l'artémisinine à partir de l'armoise annuelle (Artemisia annua), en s'appuyant sur des traités anciens de médecine traditionnelle. Les dérivés de l'artémisinine sont toujours recommandés par l'OMS pour traiter la malaria, toujours en association pour limiter la résistance. Les recherches au laboratoire étudient notamment Artemisia afra, une espèce africaine qui contient peu ou pas d'artémisinine, pour comprendre son mode d'action différent de l'artémisinine et évaluer les risques liés à l'utilisation de tisanes dans le contexte des résistances.
La COVID-19 a également fait l'objet de recherches en pharmacognosie. Durant la pandémie, des extraits de plantes disponibles ont été testés pour leur activité antivirale, montrant des résultats intéressants pour le curcuma, le thé, et le pélergonium. Une étude des plantes utilisées dans les hôpitaux chinois a identifié la pivoine, la réglisse et la cannelle comme ayant des effets antiviraux. La recherche continue pour trouver de nouvelles molécules antivirales, par exemple en étudiant des plantes comme Strychnos variabilis et en utilisant des techniques de photochimie.
Et Allison Ledoux de conclure en disant que pour faire face aux maladies infectieuses qui restent un défi contemporain majeur, les plantes médicinales, qui ont déjà fourni des traitements clés, offrent encore beaucoup à découvrir. Les extraits complexes présentent des perspectives plus intéressantes que les approches monomoléculaires.
C’est ce qu’a illustré Carla Hamann, Doctorante en Pharmacognosie (Faculté de Médecine, CIRM, ULiège), avec sa recherche en cancérologie (cancer du sein) sur l'effet d'entourage du chanvre.
L'étude des synergies est cruciale, notamment dans les extraits complexes. La synergie est le fait que l'effet combiné de composés est supérieur à la simple somme de leurs effets individuels (1+1 > 2). Elle peut impliquer des actions multicibles, une meilleure biodisponibilité, une réduction des effets indésirables ou l'inhibition de la résistance. La médecine traditionnelle utilise ce concept depuis longtemps. L'étude scientifique de la synergie a beaucoup progressé grâce aux outils bioinformatiques. L'effet d'entourage du chanvre est un exemple emblématique de synergie, impliquant les cannabinoïdes, flavonoïdes et terpènes du chanvre qui produisent une activité supérieure à l'utilisation d'un seul composé comme le CBD. Les recherches de Carla Hamann montrent par exemple que certaines combinaisons impliquant du CBD montre plutôt de l'additivité, d’autres une synergie, et d’autres encore un antagonisme. Ces études permettent de mieux orienter l’extraction. Les recherches utilisent des techniques microscopiques (holotomographie et microscopie 3D) pour analyser les modèles biologiques de plus en plus sophistiqués (la culture 2D, les sphéroïdes, les organoïdes, les larves de zebrafish). La recherche de la doctorante évolue progressivement, des cultures cellulaires (3D) vers les expériences in vivo, sur les zebrafish (en cours) puis les souris.
Au cours de son exposé, Carla Hamann a ainsi mis en évidence qu’identifier les synergies aide à mieux comprendre l'effet d'entourage pour une utilisation basée sur les preuves et que cela permet de développer des combinaisons de composés à haute activité biologique. Cela permet également de développer des produits plus personnalisés et adaptés.
L'ULiège organise un certificat en Phytothérapie dans le contexte de l'Evidence Based Medicine : Approche pratique, scientifique et qualité des produits de phytothérapie : plus d’info ici
Annonce
Depuis des millénaires, les plantes ont constitué une source majeure de composés bioactifs à usage thérapeutique, qu’il s’agisse de molécules isolées devenues des médicaments de référence ou d’extraits complexes utilisés en phytothérapie.
Aujourd’hui, l’étude scientifique des produits naturels s’impose comme un levier essentiel pour répondre à des besoins médicaux non satisfaits, notamment dans des domaines où la médecine conventionnelle offre peu d’alternatives, comme la lutte contre le paludisme ou certaines infections virales.
Cette conférence explorera trois axes de valorisation des ressources végétales en thérapeutique : l’évolution vers une phytothérapie fondée sur les preuves, le potentiel des extraits végétaux et de leurs constituants dans la recherche de nouveaux traitements anti-infectieux, et le concept de synergie entre les composants du chanvre pour explorer le potentiel thérapeutique de ces combinaisons en cancérologie.
Pour leurs travaux, les chercheuses bénéficient notamment du soutien de la Fondation Léon Fredericq, Fondation Hospitalo-Universitaire à Liège.

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