Orateur(s)
Frédéric Ooms Assistant (HEC Liège, ULiège)
Veerle Rots Professeur et Directrice de recherches du FNRS (Faculté de Philosophie et Lettres, Département des sciences historiques, ULiège)

Voyage dans le temps à travers la créativité et l’entrepreneuriat

    Résumé

    Cette conférence autour des thèmes de l’inventivité et de l’entrepreneuriat à travers les âges fut l'occasion de réunir, pour un dialogue assez inédit, Veerle Rots, Professeur et Directrice de recherches du FNRS à la Faculté de Philosophie et Lettres, Département des sciences historiques de l’ULiège et Frédéric Ooms, Assistant à HEC-ULiège, spécialiste de l’innovation et passionné par l'aventure entrepreneuriale.

    Les échanges entre nos deux orateurs se sont articulés autour de 4 points.

         1. Tous entrepreneurs depuis toujours

    L'entrepreneuriat est un terme très utilisé aujourd'hui et qui fait l'objet de recherches scientifiques dans des écoles comme HEC ULiège, par exemple. Pour Frédéric Ooms et ses pairs qui évoluent dans les mondes des start-ups et de l’incubation, entre autres, la discipline de l'entrepreneuriat est née dans les années 70, après la crise pétrolière.

    A cette époque, les prédictions qui disaient que les petites sociétés allaient disparaître se sont révélées fausses. L’économie a commencé à réclamer plus d’entreprises et d’entrepreneurs pour la relance et la création d’emplois.

    Cette notion peut donc paraître très contemporaine... jusqu'à ce qu'on s'intéresse aux actes de l'homme du passé, et notamment de l'homme préhistorique comme le fait Veerle Rots. Souvent, dans l’esprit de beaucoup, la Préhistoire est une période qui n’est pas associée à l’entrepreneuriat. Or, le succès de l’Humanité repose sur le fait que les hommes étaient déjà créatifs à innovants à cette époque. Veerle Rots nous a expliqué que nous, humains, sommes tous entrepreneurs depuis toujours et qu’il reste des traces prouvant ces premières inventions technologiques. La recherche de ces traces constitue le travail même des archéologues.

    Citons notamment l’invention du feu qui a transformé les sociétés et l’emmanchement, processus par lequel l’homme a commencé à assembler et combiner deux matériaux pour construire des outils plus performants.

    Pour Frédéric Ooms, cela fait aussi écho à une définition plus large de l’« entrepreneur », qui concerne tout un chacun, capable de prendre des décisions face à l’incertitude.

         2. La diffusion des inventions et leur survie

    Afin qu'une invention survive dans la durée, elle doit bien sûr être utilisée mais il faut aussi pouvoir la transmettre à un plus grand nombre. A l'époque de la Préhistoire, la transmission et la densité de la population sont deux facteurs intiment liés.

    La densité de la population étant beaucoup plus basses à l‘époque, la diffusion d’une innovation est plus lente. C’est un élément important à prendre en compte qui n’a aucun rapport avec l’intelligence. Il y a besoin d’échanges et de réseaux pour engendrer une évolution technologique. La profondeur de temps surprend parfois mais les traces les plus anciennes de diffusion, retrouvées en Afrique, remontent à 300 000 ans. Les recherches permettent de remonter aux « racines » très anciennes de la transmission.

    Aujourd’hui, une invention en Chine sera connue dans les heures qui suivent sur toute la planète. La diffusion est certes plus rapide et plus aisée de par la force des réseaux, les moyens de communication en temps réel et la densité de population mais au niveau cognitif / créatif le principe reste à peu de chose près le même ; on combine des choses pour créer des objets/ produits qui ont une valeur ajoutée. Les humains ont toujours été créatifs depuis la Préhistoire et on a toujours construit sur les inventions passées, l’innovation étant un processus cumulatif.

    La société actuelle est construite différemment mais pour qu’une innovation / un produit perdure, il faut également un marché de taille suffisante.

    Rester adaptable et agile est nécessaire également avec, aujourd’hui, une grande pression sur l’entreprise car les modèles économiques ont une durée de vie plus courte.

    Aussi, le côté « essai-erreur » est un autre point commun entre la Préhistoire et l’entrepreneur d’aujourd’hui. On remarque, sur les sites de production de l’époque (il y a 200 000 ans), de nombreux déchets liés aux essais au niveau de la taille pour produire exactement les outils dont ils avaient besoin.
    Frédéric Ooms a souligné que peu importe l’innovation, il faut obligatoirement passer par différentes phases : l’intention, l’exploration puis l’exploitation. Aussi, cela implique différents groupes de personnes : les innovateurs, les premiers utilisateurs, la majorité précoce, la majorité tardive et les retardataires.

         3. La spécialisation

    Un autre facteur qui assure une diffusion plus efficace et le succès d'une innovation, c'est la spécialisation. Selon Veerle Rots, pour que la spécialisation se développe, il faut non seulement un savoir-faire, une certaine intelligence mais il est aussi nécessaire que la société le permette.

    À la Préhistoire, la technologie derrière la production des armes de chasse est un bon exemple. Elle a des implications importantes au niveau de la survie,et de comment la société s’organise. Vu le danger et la difficulté de la tâche, le groupe participe à la chasse. Dès qu’on améliore les outils et techniques pour permettre de chasser à plus longue distance, il n’est plus nécessaire que tout le monde participe. Le reste du groupe a donc plus de temps, qu’il peut dégager pour faire d’autres tâches. Cela engendre une transformation sociétale qui ouvre des espaces pour de nouvelles disciplines comme l’art, par exemple.

    Aujourd’hui, l’individualisme a probablement été alimenté par l’avènement des technologies qui permettent de libérer du temps, tout en rendant l’homme moins dépendant du groupe.

    L’apprentissage et la transmission sont aussi deux facteurs importants. La transmission peut être verticale (parent -> enfants) ou horizontale ou plus diffuse (professeur vers élèves). La vitesse à laquelle l’évolution culturelle va avoir lieu dépend de la façon dont la société est organisée. On peut faire des parallèles avec la cocréation et les nouveaux modèles de management mis en avant aujourd’hui.

         4. Invention ou innovation ?

    Enfin, avant d’échanger avec l’audience, nos deux orateurs ont abordé la différence entre une invention et une innovation. Pour tous les deux, il s’agit d’une question de terminologie.

    Pour Veerle Rots, une invention sous-tend un changement abrupt et radical. Elle a pris l’exemple du four à micro-ondes (on s’est servi d’une technologie existante pour l’adapter à un usage tout à fait différent).

    Une innovation par contre consiste en une combinaison de choses existantes comme par exemple le smartphone qui combine différentes technologies qui préexistaient.

    Pour Frédéric Ooms, une invention consiste à créer quelque chose de nouveau de façon incrémentale ou disruptive, tandis qu’ une innovation crée de la valeur en répondant à un besoin.

    L'entrepreneuriat n'est pas un phénomène du XXIe siècle ; il est profondément enraciné dans notre ADN humain.

    Depuis les premiers hommes qui, durant la Préhistoire, ont façonné des outils en pierre pour améliorer leur qualité de vie, à l'innovateur moderne lançant sa start-up technologique, un fil conducteur relie ces deux mondes : la capacité à identifier un besoin et à y répondre par une solution innovante.

    Ainsi, cette conférence vise à jeter un pont entre le passé et le présent, révélant que l’inventivité et l'esprit entrepreneurial ont toujours été des parties intégrantes de notre identité en tant qu'espèce.

    Elle sera également l'occasion d'un dialogue assez inédit entre une chercheuse, qui s’est vue décerner le Prix Francqui 2022 en Sciences Humaines, pour ses recherches pionnières sur les outils en pierre au Paléolithique, et un spécialiste de l’innovation, passionné par l'aventure entrepreneuriale à l'ère des start-ups.