Le récent confinement que nous avons vécu a rendu plus palpable, chez beaucoup d’entre nous, le désir de nature.

Attirance temporaire pour « s’échapper » ? Ou (r)éveil à un besoin naturel ? Ce « retour à la nature » est de tous les débats et sur toutes les lèvres. Loin d’être une préoccupation ponctuelle, cette plus grande conscientisation de cet essentiel avec lequel nous entretenons un lien inhérent, vient s’agréger à de nombreuses réflexions sur la crise écologique, climatique. En janvier dernier, à l’occasion de nos derniers comités de programmation, nous recueillions d’ailleurs beaucoup de sujets liés à ce « retour à la nature », que ce soit pour se nourrir, se ressourcer, se soigner ou pour une plus grande qualité de vie en ville...

C’est ainsi qu'en amont du midi de lancement de notre dixième saison, consacré au Retour à la Nature, nous avons choisi de l'aborder dans cette quatrième lettre thématique. Les axes d’approches et les illustrations sont en effet nombreux… De quelle nature parle-t-on ? Représente-t-elle un exemple à suivre pour la Recherche ? Comment peut-on la remettre au cœur des villes et de nos préoccupations pour mieux vivre, nous nourrir, s’épanouir ? Ces questions se prolongeront également tout au long de notre programmation.

En attendant, découvrez ci-dessous les contributions de 6 personnalités qui nous expriment, chacune à leur manière, un véritable retour à la Nature !
Bonne lecture !

Hughes Dorzée

Hugues Dorzée

Rédacteur en chef du magazine Imagine Demain le monde

Le magazine Imagine Demain le monde, qui traite de sujets d'écologie et de société, est apparu sous un jour nouveau au printemps dernier, après une refonte éditoriale. La Une de ce premier numéro d’une nouvelle ère titrait : « Le retour à la nature ». C’est ainsi que nous avons interrogé Hugues Dorzée sur ce lien à cette Nature aux multiples facettes.

De quelle nature parle-t-on ?

Le retour à la nature ? Mais de quelle nature parle-t-on exactement ? Celle que ce système globalisé et financiarisé, productiviste et prédateur, maltraite et pille sans vergogne depuis plusieurs siècles ? Celle qui ne s’appelle pas vraiment « nature » et qui rassemble tous les êtres vivants, humains et non-humains, que les peuples andins nomment la Pachamama, la Terre-Mère ?

Celle qui nous ressource, nous énergise et nous apaise – forêts ombragées, campagnes bucoliques, alpages silencieux, horizons marins à perte de vue… ?  Celle qui est désormais mise à toutes les sauces du Marché, petits et grands éco-blanchiments, marketing vert et autres escroqueries écologiques ?

Cette nature plurielle et planétaire, du nord au sud, d’est en ouest, chaotique ou domestiquée, proche ou inaccessible, porteuse d’espoirs, de désolations, de rêveries, de beautés et de laideurs, d’exploitations vertueuses et destructrices. Cette nature d’où l’on vient et où nous terminerons, minuscules Homo sapiens appelés à davantage d’humilité et de sobriété pour cohabiter pleinement aux côtés des… 8 millions d’espèces animales et végétales recensées. Et espérer ainsi enrayer le déclin de cette fantastique planète Terre gravement en péril.

Pour aller plus loin :

Magazine Imagine Demain le monde
Participer à l’enquête NatureOrNot qui tente de mesurer la perception de chacun de la nature en ville, en fonction de son lieu d'habitation, âge, habitudes...

Haïssam Jijakli

Professeur d’Agriculture Urbaine, Gembloux Agro-Bio Tech (ULiège)
Fondateur du C-RAU (Centre de Recherches en Agriculture Urbaine)

Haïssam Jijakli a développé ses connaissances en agriculture urbaine et en lutte biologique au cours d’une carrière de trente années. Fort de ses recherches, il a lancé 3 spin-offs, dont Green SURF, au service des acteurs des villes (pouvoirs publics, promoteurs immobiliers, architectes, entrepreneurs…) qui souhaitent implémenter l’agriculture urbaine. Il évoque, avec nous, les ressources insoupçonnées de l’agriculture urbaine.

Haïssam Jijakli

 

Les ressources insoupçonnées de l’agriculture urbaine

Avec des bénéfices à la fois écologiques, économiques et sociaux, l’agriculture urbaine constitue un puissant levier sociétal. En effet, la vocation première de l’agriculture urbaine dépasse largement le simple désir de nourrir les citadins. Elle cohabite aussi bien avec des immeubles de bureaux que du résidentiel ou encore de l’HoReCa, des écoles et autres collectivités. L’agriculture urbaine gagne également le monde des entreprises, avec chez celles-ci la volonté de ramener du sens parmi leurs collaborateurs tout en s’engageant en matière de RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises).

Les usagers et habitants de ces lieux peuvent se reconnecter à la nature, (re)créer un espace de partage et de convivialité, pratiquer une activité physique et… bien entendu cultiver de façon locale et durable, tout en renouant avec une alimentation de qualité. Chacun à leur échelle, ces acteurs reprennent ainsi leur « destin alimentaire » en main, en (ré)apprenant l’autonomie alimentaire.

Cela fait une quinzaine d’années que l’agriculture urbaine est en cours de réintroduction dans les pays de l’hémisphère Nord. Les citadins du Sud, eux, n’ont jamais cessé de cultiver leur jardin. À l’échelle mondiale, on dénombre pas moins de 800 millions de personnes* qui s’impliquent dans l’agriculture urbaine et péri-urbaine. Au vu des enjeux auxquels répond l’agriculture urbaine, les « néo-culteurs » dans les pays du Nord seront toujours plus nombreux. Nous avons pu le constater lors du confinement, au printemps dernier : l’agriculture urbaine est bien plus qu’une tendance, c’est une solution à valeur sociétale ajoutée.

* chiffres 2018, FNUD et FAO, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture

Pour poursuivre la réflexion :

Conférence en ligne « L'agriculture urbaine : à quel prix ? », le 29 octobre.
Article « Cultiver la ville », (Athena Mag, nov-déc 2019)
L’agriculture urbaine à Gembloux Agro-Bio Tech (ULiège)
Brochure du C-RAU

Gilles Forêt

Gilles Forêt

Échevin de la Transition Écologique, de la Mobilité, de la Propreté et du Numérique à la Ville de Liège

En écho aux propos ci-dessus sur l’agriculture urbaine, Gilles Forêt nous présente le plan Canopée, un projet qui ambitionne de remettre lui aussi la Nature et ses composantes au cœur de la ville.

Le Plan Canopée : revégétaliser la Cité ardente

La Ville de Liège a placé la transition écologique et climatique au cœur de ses priorités. Liège, comme tous les pôles urbains denses, risque de ressentir de manière forte les effets du changement climatique : pollution de l’air, îlots de chaleur, risques d’inondation, etc. Il est nécessaire d’avoir une réponse structurelle à ce défi majeur. La qualité du cadre de vie et des espaces est primordiale. Elle doit donner envie de vivre en ville et agir pour que l’urbain redevienne un véritable choix de vie. C’est pourquoi j’ai souhaité mettre en place un « Plan Canopée », qui s’inscrit en complémentarité avec d’autres stratégies en faveur du développement durable.

L’objectif global du Plan est le développement stratégique d’une strate arborée en plaçant l’arbre au centre du plan d’adaptation de la ville au changement climatique. Il est prévu de planter massivement (au moins 20.000 unités net) des jeunes arbres d’ici 2030 afin d’obtenir une canopée supplémentaire d’arbres matures en 2050. Cette action permettra, en outre, de renforcer le maillage écologique et les infrastructures vertes, afin d’accroître les services écosystémiques rendus par les arbres urbains (régulation des températures, captation du CO2, purification de l’air, bien-être, ombrage, biodiversité, qualité des espaces publics, paysage...). Il s‘agit de planter le bon arbre au bon endroit pour le meilleur « gain climatique, sociétal et environnemental ».

Il existe autour de la nature en ville, et des arbres en particulier, une attente de la population très forte et, dès lors, nous avons souhaité intégrer le volet implication citoyenne dans ce « Plan Canopée ». Les bénéfices qu’apporteront ces arbres en ville seront nombreux et permettront de répondre à des enjeux vitaux, et faire de Liège une ville où la verdurisation, le bien-être et la qualité de vie seront à hauteur des attentes de ses habitants.

Pour aller plus loin :

Plus d'informations sur le Plan Canopée

Michel Frederich

Maître de recherche honoraire du FRS-FNRS
Professeur au département de Pharmacie et au laboratoire de Pharmacognosie (ULiège)
Centre Interfacultaire de Recherche sur le Médicament (CIRM)

Pharmacien de formation, il nous éclaire sur la place qu’occupe la phytothérapie - cette discipline à la frontière de la botanique, de la pharmacie, de la médecine et de la chimie - dans le monde médical.

Michel Frederich

 

Phytothérapie : la médecine par les plantes

Depuis des millénaires, l’Homme utilise des plantes pour se soigner. De nombreux remèdes végétaux ancestraux ont d’ailleurs donné naissance à des médicaments essentiels de notre Pharmacopée, tels que la morphine (antidouleur de référence), l’aspirine (antidouleur, anti-inflammatoire et antiagrégant plaquettaire) ou l’atropine (stimulant cardiaque, qui a donné naissance à de très nombreux médicaments dérivés).

Néanmoins, la phytothérapie, c’est-à-dire l’utilisation de plantes ou d’extraits complexes de plantes pour se soigner, est encore souvent considérée comme un traitement non conventionnel, confondue avec l’homéopathie, et souffre toujours d’un manque de reconnaissance d’une partie du monde médical. Plusieurs remèdes de phytothérapie ont cependant maintenant prouvé leur efficacité sans ambiguïté, et sont reconnus par l’agence européenne du médicament (EMA), tels le millepertuis comme antidépresseur, la valériane comme sédatif ou le gingembre comme anti-nauséeux. Les remèdes de phytothérapie, de par leur composition complexe, offrent en général l’avantage d’une action sur plusieurs cibles pharmacologiques différentes, ce qui permet de réduire les doses et donc les risques d’effets indésirables.

La difficulté principale réside dans la variabilité des plantes médicinales, et donc dans la nécessité d’utiliser des préparations standardisées, de composition identique d’un lot à l’autre.

Actuellement, le Laboratoire de Pharmacognosie développe des activités autour de l’identification de métabolites végétaux bioactifs (malaria et cancer principalement), ainsi que du contrôle de qualité des médicaments à base de plantes.

Pour en savoir plus :

Plus d’informations sur le Laboratoire de Pharmacognosie

Tristan Gilet

Tristan Gilet

Ingénieur physicien et docteur en Physique
Chargé de cours, faculté des Sciences appliquées (ULiège)

Il dirige le Microfluidics Lab1, un laboratoire de l'U.R. Aérospatiale et Mécanique consacré à l’étude des écoulements de liquides aux échelles inférieures au millimètre. Dans un projet biomimétique en partenariat avec l'U.R. FOCUS de l'ULiège et le laboratoire TIPS de l'ULB, le Microfluidics Lab tente d'élucider les mécanismes d'adhésion capillaire des coléoptères pour jeter les bases d'une nouvelle technologie de préhension microrobotique."

Dans le cadre de cette lettre thématique, il nous livre sa vision sur la bio-inspiration en tant que moteur pour la Recherche, notamment liée au développement durable.

Observer la nature pour un développement durable

La nature regorge encore de millions d'espèces qui, au cours de l'évolution, se sont optimisées pour survivre et se reproduire sous les contraintes de leur environnement. Le pari du biomimétisme est de réduire le temps de recherche d'une solution optimale à un problème donné en se concentrant sur les formes, les mécanismes et les stratégies éprouvées par des espèces faisant face à un défi similaire. Par exemple, on devrait pouvoir concevoir des robots capables de manipuler des objets microscopiques en copiant les mécanismes d'adhésion des coléoptères1.

Pour résoudre le défi de sa présence durable sur Terre (#changement climatique, #perte de biodiversité, #épuisement des ressources), l'Homme peut également s'inspirer des espèces qui ont vécu plus longtemps que lui. Néanmoins, je ne connais pas d'espèce dont la copie nous ferait décupler nos sources énergétiques ou diviser par dix nos dépenses à confort constant. Par exemple, l'aéronautique s'est inspirée du vol des oiseaux dès ses débuts. À présent, en termes d'énergie dépensée pour faire voler un poids donné sur une distance donnée, l'infatigable pigeon est à peine plus performant qu'un Boeing 7472, ce qui sous-entend que les ingénieurs ont déjà largement optimisé ce dernier. Si le pigeon n'a pas réussi à voler pour dix fois moins d'énergie dépensée, l'avion de ligne ne le pourra.

Je pense que les leçons de la nature en termes de développement durable se trouvent davantage dans l'organisation de celle-ci plutôt que dans les capacités inédites d'une espèce particulière. On y retrouve profondément ancrés trois concepts que l'Homme semble redécouvrir après un siècle d'oubli :

  • L'économie circulaire : les déchets des uns peuvent être digérés et valorisés par les autres.
  • La localité des cycles de l'azote et du phosphore, que chaque écosystème est sensé recycler3. Ceci sous-entend notamment qu'on utilise les déjections compostées comme engrais plutôt que de synthétiser des engrais à coût énergétique prohibitif et en quantité telle que leur injection dans le cycle déstabilise les écosystèmes (#eutrophisation).
  • La biodiversité pour augmenter la résistance. Par exemple, une étude récente de l'INRA4 montre que la mixité des variétés de blé sur une parcelle (le contraire d'une monoculture) peut diminuer la sensibilité du champ à certaines maladies.

 

1 T. Gilet et al., Curr. Opin. Insect Sci. 30, 19-25 (2018)
2 S. Dhawan, Sadhana 16 (4), 275-352 (1991)
3 M. A. Sutton & G. Billen, European Nitrogen Assessment, Technical summary (2011)
4 T. Vidal et al., Agriculture and Forest Meteorology 246, 154-161 (2017)

À découvrir aussi :

Conférence en ligne « Intelligence artificielle et bio-inspiration : s’adapter aux contextes changeants », le 17 novembre.

Davide Arcadipane

Exploitant agricole

Davide Arcadipane a suivi un Master en gestion des entreprises sociales à HEC-ULiège. Nous souhaitions conclure cette lettre thématique en partageant son témoignage ; celui d’un jeune entrepreneur qui a placé la question du sens et de l’impact au cœur de son projet professionnel, en se reconnectant à la Nature.

Davide Arcadipane

 

Se reconnecter à la Nature en produisant durable

Dès le début de mes études à HEC, j'avais envie de créer un projet entrepreneurial. Mon but n'était pas de devenir riche, mais de réaliser un projet à finalité sociétale. Je voulais faire partie de la solution et non du problème. Dès ma 2ème année de bachelier, j'ai décidé de suivre des cours du soir en agronomie. Je n'avais pas vraiment d'idées concrètes, mais l'alimentation, l'agriculture et la nature sont des thématiques qui me passionnent ; j'avais aussi besoin d'acquérir de nouvelles connaissances et compétences. Au milieu de ma 3ème année de bachelier, et en parallèle à mes cours du soir en agronomie, j’ai profité de l’opportunité qu’a eue ma famille d'acquérir des parcelles agricoles dans le pays de Herve pour démarrer mon aventure entrepreneuriale : produire de la nourriture de façon durable.

Depuis fin 2015, j'élève des bovins highlands pour leur viande et je produis des fruits de variétés anciennes et locales issus de vergers hautes-tiges non traités. Ce projet, de par sa petite surface (10 hectares), sa grande diversité cultivée, son faible niveau de motorisation, son approche écologique globale et sa commercialisation en circuits courts, est l'occasion pour moi d'avoir un impact positif sur notre planète. Immergé dans la Nature, j'essaye de comprendre ses mécanismes, son fonctionnement. L'humilité est au centre de notre projet. D'ailleurs, l'humilité vient du latin humilitas, dérivé du terme humus, désignant la terre. Nous avons une chance incroyable. La Nature, belle et complexe est une source inépuisable d'émerveillement.

Une fois ce constat réalisé, il est devenu vital pour moi de me connecter à la beauté du monde, de contempler, méditer, planter. Le retour à la Nature, ça commence par le fait d’être physiquement à son contact. Voir les couleurs, sentir les odeurs, écouter le bruit des oiseaux, le craquement des feuilles ou le bruit du vent dans les arbres. Il est évident que le côté grandiose de la nature est moins saisissant en ville qu'ailleurs, mais il est tout à fait possible de s'émerveiller à la nature ordinaire, celle proche de chez soi, voire chez soi. On peut s'émerveiller en faisant pousser des herbes aromatiques, un plan de tomates sur son balcon, ou en installant un hôtel à insectes sur sa terrasse et regarder la Vie opérer.

Mon projet me permet de vivre la Nature, de vivre ses lois et ses mécanismes. Le retour à la Nature, c'est la reconnexion au Vivant et à son émerveillement. Comme le dit si bien Pierre Rabhi, « Nous ne sommes pas, nous les Hommes, des êtres isolés, nous ne sommes pas les maîtres absolus de la Terre. Nous devons rester reliés au grand flux de la nature. C’est la condition de notre survie ».

En découvrir davantage :

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